Sur la platine

Simmons et Evans : hommage au maître du shehnai

Sonny Simmons s’offre parfois des ouvertures à d’autres esthétiques.


C’est ainsi qu’en 2001, il enregistre en duo avec le clarinettiste Brandon Evans, un album en hommage à Ustad Bismillah Khan, le maître du shehnai, le hautbois indien.

Dans cet album, Sonny Simmons joue d’ailleurs exclusivement du cor anglais, à la sonorité proche du hautbois, du shehnai. Et Brandon Evans utilise même ce dernier dans l’une des pistes.

Le premier de ces morceaux donne aussi son nom à l’album, A Salute to Ustad Bismillah Khan.
Cette pièce est un long et beau chant de célébration. Brandon Evans choisit l’harmonium pour produire, entre autre, un bourdon typique de la musique carnatique, offrant ainsi à Sonny Simmons un écrin idéal à l’expansion de sa mélopée, de son hommage. Une expressivité puissante, une forme de spiritualité aussi qui rappelle par instants celle de Coltrane. Lorsque l’harmonium prend le trait, il arrive que le cor cède la place à la voix, dans un syncrétisme des rituels et des langages, comme un prolongement naturel des anches, dans un flux continu.

Cette influence indienne se retrouve dans les pièces où Brandon Evans utilise l’harmonium, comme dans « Ruby ».
Elle est transfigurée dans d’autres pièces, avec un mélange de free, d’improvisations aux attaques abruptes et de drones hypnotiques, permettant entre autres d’apprécier le jeu de Brandon Evans sur la clarinette basse et la clarinette contralto.
Sur « Rejoice », c’est un festival d’anches, très sensuelles, serpentines, faisant de grands écarts chromatiques à la clarinette, le cor soulignant ce discours de ses sonorités caractéristiques.
Cette étrangeté des compositions et des timbres est encore plus marquante dans « Evil Eye » . Ici, c’est la volupté des sons ultra-graves du contralto, leurs granulations changeantes, leurs méandres, leurs stases, leurs grognements, qui met en relief le discours acide du cor, son chant qui s’inspire progressivement de l’Inde lointaine. C’est à ce moment que la clarinette reprend la fonction de l’harmonium, son quasi-drone amplifiant l’élévation du chant de Sonny Simmons. Étrange et captivant.
Dans « Fire Heart » Brandon Evans choisit le shehnai. Les sons des deux instruments s’entremêlent alors, le phrasé seul permettant de les distinguer, ainsi que les grognements, les onomatopées de Sonny Simmons.
C’est donc un formidable album, qui date de près de vingt ans. Il rappelle l’extraordinaire plasticité du jazz lorsqu’il est servi par des créateurs de premier plan. Sonny Simmons et son complice réinventent une musique qui sait nous envoûter tant par ses discours que par la richesse des timbres. Une heure de chants qui fascinent.