Scènes

Le quartet de Samuel Blaser chez vous

Les concerts enregistrés au Moods se regardent en ligne.


Samuel Blaser (extrait video)

Organiser, jouer, assister à un concert en cette période de pandémie relèvent de la gageure. Tout le travail en amont depuis plusieurs mois, voire davantage, est mis à la benne. Mais les idées ne manquent pas pour amoindrir cette crise, pour surnager un peu, en ayant recours à Internet.
C’est ainsi qu’il est possible d’être projeté à Zurich, au Moods, le 30 octobre dernier, et d’assister très confortablement à la fête proposée par le quartet de Samuel Blaser.

Samuel Blaser 4tet (extrait vidéo)

Quelques focales.
En guise de mise en bouche, Samuel Blaser fait vibrer son trombone, comme pour le réveiller, l’échauffer un peu, hors de toute mélodie, pour le seul plaisir des timbres. Des ponctuations quasi erratiques sur les peaux, des guirlandes acides sur les cordes. Puis un thème arrive, esquissé par bribes, transfiguré, avec quelques traces de « Good Bye Pork Pie Hat » (Mingus), avec une volupté évidente et communicative, suivi par Marc Ducret dans ses introspections, avec des distorsions, des vrombissements, des résonances, comme à l’affût de sa propre musique, en un mot, lyrique !
Le tromboniste revient pour de nouvelles fouilles de son instrument, pour des vibrations gourmandes aux couleurs bleues. Gerry Hemingway qui s’était délecté de frappes déstructurées, discontinues, d’interjections vocales, impulse temporairement un balancement puis ramène le silence, pour Masa Kamaguchi. Celui-ci nous offre une ligne de basse à notes espacées, mélodique, répétée inlassablement. C’est un tremplin pour des ponctuations quasi abstraites du trombone, parfois comme un freinage d’urgence sur l’asphalte, des éclats feutrés sur un tom, un manche de guitare parcouru délicatement comme un clavier, des doigts qui volettent au-dessus, tout un essaim de lucioles sonores dans un ciel nocturne. Puis une troisième phase débute par un solo de Samuel Blaser, où il se joue de son instrument, variant sans cesse les modes de jeu, vocalisant par moment, puis se répondant à lui-même pour ouvrir une nouvelle période avec son groupe.
Un solo plus percussif de Marc Ducret, un autre où Masa Kamaguchi prend plaisir à faire résonner les cordes, à citer Monk, comme par mégarde.

Dans l’hommage à Mal Waldron, les deux voix mélodistes dialoguent, se répondent, se livrent à des séquences progressivement débridées. C’est en particulier le cas de certaines phases de Marc Ducret, fiévreuses, hallucinées, alors que la batterie attise la fournaise. Puis Samuel Blaser seul, avec des phrases lentes, explore les saveurs graves, les multiples strates du son, accompagné par un drone de Gerry Hemingway à l’harmonica. Une forme d’hymne lent émerge, nostalgique d’un temps lointain, une sorte de recueillement, occasion de sons irisés, avant des accents bluesy à la guitare, une sorte de plongée dans une tradition profonde et transfigurée. Des frappes sombres, constellées, aux rythmes brisés, refusant l’attrait de la régularité hormis parfois celle de la grosse caisse, des frottements, des crépitements, avant le retour du groupe.
Plus tard, la musique se fait diaphane, comme suspendue, offrant de multiples occasions de stridences du résonateur sur les cordes, de phrases courtes au trombone, comme projetées, hors cadre, aux limites de l’abstraction, avec des alternances d’accents bluesy, voire New Orleans.

C’est que cette musique est hors cadre. Elle n’oublie pas son histoire, ses histoires multiples, mais les tient à bonne distance. Elle savoure les timbres, les harmoniques, la discontinuité, les phases erratiques, les stridences et les vrilles, mais se régale aussi de friandises nostalgiques.

En guise de démonstration, un bis somptueux entre le trombone et la batterie, qui réconcilie bien des aspects du jazz, voire de l’improvisation libre, avec virtuosité. Et comme le public en redemande encore, un autre bis, en quartette cette fois.
Si Masa Kamaguchi est pour l’essentiel en accompagnement, Marc Ducret et Gerry Hemingway prennent souvent l’initiative. Ils surprennent, ils focalisent l’attention, l’intérêt. Quant à Samuel Blaser, c’est un extraterrestre du trombone, un pur jouisseur impénitent et facétieux de ces tuyaux.
À présent, un extrait du concert :

Pour voir la totalité du concert, qui dure près d’une heure quarante, il faut payer, un peu. La plateforme Moods propose de vous faire profiter de ses concerts mis en ligne moyennant 6 CHF (disons 7€) pour une semaine de libre accès. C’est là.
Pendant ce laps de temps, vous pourrez écouter autant de concerts que vous le désirerez. Les plus avertis sauront comment les projeter sur leur grand écran de salon, pour un confort optimal.

par Guy Sitruk // Publié le 6 décembre 2020
P.-S. :

Samuel Blaser a eu l’idée de rendre disponible ce concert sous forme d’un album numérique, sur Bandcamp. Plus de limite d’une semaine pour découvrir cette musique.