Chronique

Ivo Perelman

Strings & Voices Project

Ivo Perelman (ts), Jean-Michel Van Schouwburg (voc), Phil Minton (voc), Phil Wachsman (vln), Benedict Taylor (vla), Marcio Mattos (cello), David Leahy (b), Pascal Marzan (g)

Cet album est issu de deux concerts à la Hundred Years Gallery de Londres, organisés par l’infatigable Jean-Michel Van Schouwburg
Des artistes issus de divers pays viennent se frotter aux chants du sax d’Ivo Perelman. Ce dernier semble totalement libérer sa gourmandise des sons, des matières aux strates multiples et changeantes, en une forme d’érotisme des timbres. Il nous régale aussi d’une musique comme sûre d’elle-même, épanouie, tranquillement voluptueuse.

Les différentes pièces, six en tout pour plus d’une heure vingt de musique (!!!), ont pour seul titre le nom des musiciens qui y contribuent. C’est une manière de mettre en avant les talents ainsi rassemblés, voire d’en (re)découvrir certains, comme Pascal Marzan et sa surprenante guitare qui avait quitté les quais du Canal Saint-Martin et sa Rotonde de Choc pour ceux de la Tamise. Chacun de ses invités apparaît deux fois, sauf Benedict Taylor (vla) qui bénéficie de trois apparitions, alors que David Leahy (b) n’y fait qu’un tour. Y sont réunis cinq trios et un quartette. Enfin, hors Ivo Perelman, il n’est question que de voix et de cordes, d’où le titre de l’album. Voilà pour la démarche entomologique.

Dans la première pièce, Jean-Michel Van Schouwburg (voix), Marcio Mattos (cello) et Ivo Perelman se livrent à un jeu mimétique à deux, à trois, parfois avec de vagues échos d’hier, quelques vibratos, et souvent des moments de lyrisme intense. On peut cependant regretter une relative distanciation de la voix qui étouffe l’opportunisme du chanteur, qui amoindrit ses initiatives, même si sa sensibilité et son humour transparaissent.
Bien qu’étant elle aussi un peu desservie par la sonorisation, la voix de Phil Minton (et son agressivité féline) est suffisamment présente… et perturbatrice. Elle inspire à Pascal Marzan un interventionnisme marqué, une flexibilité du phrasé, et suscite un discours très surprenant du sax, aux confins de la voix. On en reste troublé.

Avec le violon de Phil Waschsman, l’alto de Benedict Taylor et le violoncelle de Marcio Mattos, c’est un changement net de couleurs. Accents européens, agacements ou écrasement des archets. On se voit comme déplacé dans un autre univers, cette fois sans Ivo Perelman.
Mais il revient, avec l’alto et la contrebasse, pour de nouvelles occasions de challenges, qu’il semble apprécier. On y retrouve sa véhémence, son lyrisme, des phrases toutes hachées, et ses délicieuses osmoses avec le discours de ses partenaires, avec leurs timbres.
On pourrait ainsi parcourir en mots ce que les oreilles se laissent conter.
On apprend que c’est le 95e album d’Ivo Perelman. Dans celui-ci, on ne peut que constater son plaisir évident à ces rencontres décapantes, à ces challenges qu’il sait offrir à ses compagnons de route. L’aventure, il aime ça.

Un grand merci à Jean-Michel Van Schouwburg, admirateur affûté du saxophoniste, très fin connaisseur de ces musiques des confins, et explorateur radical et sensible de ce que peut faire le souffle, la gorge, le corps.
On peut ainsi résumer ces moments : des musiques de dingues par des dingues de musique. Remarquable.
Cet album est disponible en ligne pour 7£ (comptez 9 € change compris).

par Guy Sitruk // Publié le 5 juillet 2020
P.-S. :

L’extrait proposé à l’écoute réunit Pascal Marzan, Ivo Perelman et Phil Minton.