Scènes

The Vortex ne baisse pas les bras !

Pas question de rester impuissant. Le club londonien organise chaque dimanche un concert. C’est très en deçà de l’activité habituelle, mais il faut entretenir l’espoir.
Il invite le 11 octobre 2020 trois des grandes figures britanniques de l’improvisation.


flyer du concert

Comme la salle est inexploitable pour raisons de Covid, autant aller enregistrer ledit concert au Sands Studio pour une diffusion sur le Net avec quelques contributions financières espérées de la part du public. Sur scène : Evan Parker, John Edwards et Mark Sanders.

Evan Parker ; extrait de la vidéo

Une sacrée belle affiche !
Intense de bout en bout.

Evan Parker au ténor oublie le souffle continu pour une introspection tourmentée souvent, apaisée parfois. En ce début de concert, John Edwards fait bourdonner puissamment sa basse, suivi par Mark Sanders qui y place aussi des banderilles, des éclats de métal. Mais le bassiste ne reste pas en place. Il est survolté. Il change de discours, fait claquer ses cordes, entame des bribes de phrases compulsives, voire hallucinées, qui inspirent le sax. Mark Sanders navigue entre frappes délicates, éboulements irrésistibles et chaos savants que rien ne semble pouvoir interrompre. Evan Parker retrouve par moments ses salves « d’articulations » quasi percussives, ses strates multiples ; il navigue sur différents timbres. Trois infatigables.

Mais que dire quand autour de 14:30, Evan Parker laisse le devant de la scène au seul John Edwards ? Ce dernier surexcite les cordes, les frappe, taquine le bois ; il fait bourdonner l’archet, fait résonner les cordes ; il se lance dans un discours échevelé d’inventions percussives. Tout est prétexte à une sorte de symbiose, de transe nerveuse.
Au bout de cinq minutes, un souffle continu, une stase, de doux tapis de cymbales, des ponctuations délicates sur les peaux, et le chant de Parker revient, d’abord hésitant, puis retrouvant ses sinuosités dans un duo avec une batterie époustouflante et subtile. John Edwards savoure les yeux fermés dans une esquisse de danse lente.
Une première pièce de 25 minutes.

Qu’il est étrange de voir cette pause où le souffleur change d’instrument… dans le silence d’une salle presque vide.
La deuxième pièce est un solo de soprano de plus de cinq minutes, en souffle continu, en tourbillons obsédants, en changements de timbres, donnant l’impression de deux lignes qui se répondent l’une à l’autre en un entrelacement de sons étonnant.

John Edwards, Mark Sanders ; extrait de la vidéo

La troisième débute par un duo murmuré basse-batterie. Les bras de Mark Sanders dansent pour obtenir l’exacte pression voulue, une « brique » caressant les cymbales, frottant légèrement les peaux. C’est à nouveau un festival à la contrebasse, souvent en retenue. Un semblant de rythmique se met en place un court moment ; les baguettes frétillent. « Less is more ». Au bout de cinq nouvelles minutes, c’est le seul Mark Sanders qui officie, encore en touches subtiles, parsemant l’espace de guirlandes de timbres légères, de brefs roulements. Des vagues d’intensité, des flux et reflux, une mélodie de percussions, avant le retour du sax, ténor cette fois, et de l’archet. Un long chant apaisé, une errance en litote autour du lyrisme coltranien, des doux crépitements de notes sur les anches. Insensiblement, la transe s’empare du groupe, mais un peu maintenue à distance. C’est le chant des cordes qui s’avance, accompagné des deux autres, dans des mouvements amples et lascifs qui nous mènent jusqu’à la fin du concert.

Covid oblige, pas de cris libérateurs du public, pas d’amateurs subjugués, debout, applaudissant à tout rompre. Mais les musiciens seuls, offrant timidement les uns aux autres cette reconnaissance qu’ils reçoivent habituellement à foison.
Un concert d’improvisation remarquable. Des musiciens époustouflants, au faîte de leur art. The Vortex mérite bien son nom, et ne s’avoue pas vaincu. Fighting Spirit toujours.

Vous avez la possibilité d’encourager cette initiative en versant une petite obole, 3, 5 voire 10 £. Tout geste compte. C’est là : Please donate here.