Portrait

La terre promise de Pierre Lordet

Rencontre avec un clarinettiste compositeur passionné et engagé.


La création artistique de Pierre Lordet s’inscrit dans une réalité. Bien que dépeinte sous une forme imaginée, sa terre d’asile n’est pas imaginaire. Au contraire, la puissance évocatrice de sa musique nous renvoie à des notions basiques d’accueil, de solidarité, mais surtout de rapport à l’espace. De quoi se poser les bonnes questions.

Pierre Lordet

Pouvez-vous vous présenter ?

J’ai un parcours on ne peut plus « classique » pour un enfant français issu des classes moyenne/populaire des années 80 : j’ai d’abord suivi un cursus au conservatoire en classique (DEM clarinette), puis un cursus jazz (DEM arrangement). J’habite depuis deux ans dans la Drôme avec ma famille, auprès de mes amis et de mon collectif d’artistes « La Curieuse ». J’ai toujours exercé l’activité / profession de musicien

Comment est né Asylon Terra ?

Le groupe est né en 2015, d’une immense envie de jouer une musique puissante, viscérale et organique, qui permette de libérer une émotion forte et de vivre des concerts d’une grande intensité. Pour ça, j’ai imaginé une musique inspirée du math-rock, de la pop, de la musique répétitive et de certaines musiques électroniques. En tant que clarinettiste, j’ai d’abord ressenti le besoin d’électrifier ma clarinette basse pour trouver le son « à l’ampli » que je cherchais. 

Ensuite, j’ai réunis trois ami-e-s : deux musiciens (Clément Black à la batterie et Lucas Hercberg à la basse) et une musicienne (Anne Quillier aux Rhodes et Moog) avec lesquels j’avais déjà joué et qui ne se connaissaient pas encore vraiment. Nous avons créé ensemble le son « Asylon ». J’écris toute la musique de ce projet mais comme notre démarche laisse une grande place au travail du son, nous trouvons ensemble la couleur de chaque composition.

Dès le début, Asylon Terra a une dimension politique. Est-ce que la naissance du groupe est partie d’une colère ou d’un ras-le-bol ?

Asylon Terra est un concept politique ancien (la terre d’asile grecque). La notion fondamentale qu’il véhicule est constamment bafouée par notre gestion absurde des flux migratoires. La rage ressentie face à cette absurdité est à l’origine du projet, en cela notre nom sonne comme un manifeste.

Je tente de limiter les allers-retours absurdes pour certains concerts et travaille à inscrire l’acte de création artistique dans un territoire et une réalité sociale.

Ce deuxième album est un peu plus sombre que le premier, et sa pochette dénuée de présence humaine évoque une notion plus écologique…

Notre second album parle plus de la Nature que de l’Homme, il place la notion de « terre d’asile » à l’échelle de l’humanité en s’inspirant de l’émotion qui nous saisit lorsque les grands oiseaux s’approchent, magnifiques et menaçants. Ces grands oiseaux qui nous observent en plein vol nous parlent bien sûr d’écologie mais aussi de cette bizarrerie de la nature humaine qui nous pousse à l’auto-destruction collective. En cela il n’est pas optimiste et nous renvoie à cette réalité : nous sommes de passage.

Le changement de musicien a-t-il eu un impact dans la création du disque ?

L’esthétique sonore et visuelle de ce second album est clairement ancrée dans l’héritage des 70’s. Et Philippe Gordiani à la guitare et à la basse VI participe grandement à cette couleur « analogique ». Le son est plus « riche », plus dense parfois aussi. Assez éloigné de la clarté souvent recherchée aujourd’hui, Big Birds Flying nous renvoie plus à l’écoute d’un vinyle de King Crimson que d’une production contemporaine.

Ça nous amène à parler du travail d’Adrian’ Bourget (Anne Quillier Sextet, Blast, Bruno Tocanne, Eve Risser). Comment s’est passée la collaboration ?

La collaboration avec Adrian’ Bourget a été une révélation. Plus qu’un ingénieur son de talent, Adrian’ a des qualités artistiques indéniables et la fluidité avec laquelle il travaille permet de vivre l’étape de studio comme un acte de création à part entière. Je considère sa place dans l’album égale à celle d’un musicien. Nous nous sommes totalement « trouvés » sur la couleur du son et des références esthétiques qui nous animaient ; j’ai hâte de partager une prochaine aventure musicale avec lui.

Quels sont les autres projets à l’aube de cette nouvelle année ?

À titre personnel, 2020 est une année exaltante musicalement puisque trois albums sortent quasi simultanément : Big Birds Flying d’Asylon Terra (production King Tao) ; Medialuna du Douar Trio (production la Curieuse) et enfin l’Opéra Afortunada ! (Co-production la Curieuse / Le Train-Théâtre ) ainsi que plusieurs musiques de scène pour le cirque et le théâtre.
Cependant, en tant que musicien je veille tant bien que mal à ne pas céder à cette frénésie propre à notre époque et à notre métier qui consiste à en faire le plus possible du moment qu’un maximum de gens nous écoutent. À ce titre, je tente de limiter les allers-retours absurdes pour certains concerts et travaille à inscrire l’acte de création artistique dans un territoire et une réalité sociale. Je compose d’ailleurs actuellement un répertoire de musique de chambre qui sera joué exclusivement en acoustique et éclairé à la bougie, en souhaitant que cette démarche permette de prendre de la distance face au réseau de diffusion habituel et à la relation artiste/public basée sur la représentation qu’il engendre souvent.