Entretien

Lada Obradović, la batteuse en baskets

Rencontre avec une artiste pour laquelle création musicale, sponsoring et actions caritatives ne font qu’un.

© Jennifer Scherler

Les chemins empruntés par Lada Obradović sont multiples. Que ce soit à la tête de projets musicaux, d’actions caritatives, de design de cymbales ou plus récemment en tant qu’actrice dans une série Netflix, l’artiste puise son inspiration au fil de ses rencontres. C’est au cours d’une pause imposée par le confinement que nous avons échangé avec elle.

Lada Obradović© Jacky Joannès

- Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre parcours ?

Je m’appelle Lada Obradović, je suis batteuse et compositrice d’origine croate. J’ai commencé la batterie tardivement, ayant été d’abord investie dans la natation à haut niveau. Puis j’ai été amenée à la musique à l’âge de 17 ans. J’ai décidé d’un seul coup de jouer de cet instrument et j’ai découvert assez rapidement que si je voulais apprendre à jouer, il fallait que je m’inscrive dans une école supérieure de musique. Il y en avait une à Graz, en Autriche, la plus proche de chez moi (à côté de Zagreb, en Croatie). Mais pour cela il fallait que j’apprenne le jazz, une musique que je ne connaissais que très peu à l’époque. C’est donc avec l’histoire de cet instrument que j’en suis venue à jouer du jazz.

- Y-a-t-il un.e musicien.ne en particulier qui vous a donné l’envie de jouer de la batterie ?

Non pas particulièrement, car je n’y connaissais rien au début. J’étais fan (et le suis toujours) de Dave Matthews Band notamment pour les textes et les histoires qu’il peut écrire, et j’ai vite été attirée par le jeu de son batteur Carter Beauford. Il se trouve que celui-ci est d’abord un batteur de jazz et il a importé beaucoup d’éléments de ce style dans la musique pop du chanteur américain.

- Comment occupez-vous votre temps en cette période compliquée de confinement ?

Principalement en développant un nouveau projet de l’association caritative SAY “R” que j’ai créée en 2018. Après StartAs You Are que j’avais initié aux côtés de David Tixier, qui s’occupe du management du projet, nous venons de finaliser le nouveau site de SAY “R” [1] qui accueille désormais notre deuxième projet caritatif Shelter At You Reach, s’occupant de venir en aide aux chenils d’Europe en ayant le plus besoin, notamment en Bosnie et en Croatie. La situation due au Coronavirus ayant nettement fait augmenter le nombre de chiens en chenils du fait que beaucoup moins de personnes adoptent ou peuvent techniquement adopter. Les frontières étant fermées, les pays voisins de la Bosnie notamment, qui aident généralement beaucoup, se retrouvent dans l’incapacité de le faire.

- Quel est votre ressenti sur cette situation inédite que nous traversons ?

Je m’inquiète surtout pour la suite, lorsque les choses vont reprendre leurs cours et que les gens les plus affaiblis par la maladie, ou financièrement, ou même les deux, vont devoir faire face un monde qui se réveille, et qui devra ne pas les laisser de côté.

Obradović - Tixier Duo

- Vous avez un lien particulier avec la France, comment est-il né ?

J’ai rencontré le pianiste français David Tixier en 2013, lors d’un Jazz Meeting à Bucarest, en Roumanie. Depuis, nous travaillons beaucoup ensemble, et je suis venue le rejoindre d’abord en Suisse, puis en France.

je pense la batterie comme un instrument soliste

- Comment est venue l’idée d’un projet en commun en duo ?

J’ai depuis longtemps eu l’envie de développer trois projets en duo : batterie/batterie, guitare/batterie et piano/batterie. Puisque le batteur et le guitariste en question résidaient respectivement en Croatie et au Monténégro, j’ai naturellement commencé par le duo piano/batterie avec David Tixier. Puis avec le succès rencontré de ce duo, je n’ai jamais eu le temps de développer les autres.

- On a le sentiment que la forme épurée du duo vous permet d’exprimer davantage de choses, qu’elle ouvre d’infinies possibilités…

Oui, je pense la batterie comme un instrument soliste, tout comme le piano est principalement soliste aussi dans ce duo. C’est comme deux solistes qui discutent.

- Pouvez-vous nous parler de StartAs you are Shoes ?

Tout a commencé lorsque que nous avons joué David et moi aux Philippines, à Manille au Tago Jazz Club. A la fin de la soirée, nous avons passé un peu de temps avec l’organisateur qui nous a dit qu’il n’avait pas d’hébergement et qu’il dormait sur le tapis de la batterie du club, lorsque les clients étaient partis. Cela nous a beaucoup touché, car nous avions été reçus comme des rois aux frais de cet organisateur qui n’avait manifestement rien.

Ayant développé mon design personnel pour mon site internet et mes cartes de visites, l’idée m’est venue de l’adapter aux chaussures Startas et de les commercialiser afin d’aider le projet de reconstruction du Tago Jazz Café. J’ai contacté la fondation suisse Terrévent qui a accepté de produire les 200 paires de chaussures que nous avons appelé “Startas You Are” en hommage au nom originel de la chaussure “Startas”. La fondation Terrévent souhaitant également aider l’Institut Saint Joseph Association Adèle De Glaubitz, venant en aide aux personnes atteintes de handicap à Colmar, en France, nous avons décidé d’aider les deux causes, à hauteur de 50% des recettes des chaussures pour chacune.

- Pourquoi des chaussures ?

Depuis le début, je ne joue de la batterie qu’avec les chaussures de la marque Borovo et le modèle Startas. Ce sont des chaussures très confortables avec des semelles plates qui me permettent d’avoir un contrôle total des pédales. J’ai pu être sponsorisée par cette marque au départ. De plus, Borovo est une entreprise historique croate qui a survécu à la guerre, et produisant encore maintenant toutes ses chaussures à la main, à Vukovar, en Croatie.

Lada Obradović

- Vous êtes également à l’initiative du design de cymbales jazz pour « TRX Cymbals » ?

Le directeur de TRX, David Levine, m’a contactée afin de me proposer un contrat de sponsoring. Il me proposait de choisir les cymbales à distance, sur internet, ce qui était difficile pour moi. J’ai accepté de représenter la marque, à une condition : que je puisse aller à l’usine de fabrication pendant quelques jours, à Istanbul, en Turquie, pour choisir les cymbales pré-existantes là-bas.

Mais petit à petit, j’ai vite réalisé que tout ce qui était proposé était trop lourd pour moi : le métal était épais et ne traduisait pas le son fin que j’affectionne particulièrement. Donc on a décidé ensemble sur place de mettre au point le modèle que je souhaitais avec l’aide des maîtres cymbaliers. David Levine a accepté, et ce fut une aventure extraordinaire, avec pour résultat le prototype des cymbales CLS qui ont vu le jour par la suite, et qui sont venues compléter le catalogue de TRX avec une première série Jazz.

- Quels sont les projets qui vous attendent après le confinement ?

Nous sommes très impatients d’enregistrer l’une de mes nouvelles compositions avec le Obradović-Tixier Duo, car nous inviterons le bassiste américain Sam Minaie pour ce titre.
Nous avons mis dans la boîte le prochain album du David Tixier Trio avec en invité l’excellent David Linx au chant, et nous sommes aussi impatients de voir sortir cet album, sans doute courant 2021. Un nouvel album avec le Obradović-Tixier Duo sera aussi mis en route fin 2020 voire début 2021. Du côté des projets caritatifs, je vais continuer à développer “Shelter At Your Reach”, spécialement une fois que les frontières seront rouvertes.