Lansiné Kouyaté - David Neerman
Lansiné Kouyaté et David Neerman, respectivement balafoniste et vibraphoniste, sortent leur deuxième disque ce mois-ci chez No Format. Ce duo atypique, entre world, électro et jazz, fait le pari de la rencontre entre deux mondes peut-être pas si éloignés qu’ils en ont l’air.
Rendez-vous est pris avec les deux « maestros », comme ils s’appellent l’un l’autre entre deux éclats de rire, au café de la Bastille à Paris.
• Sur l’affiche de la Dynamo de Banlieues Bleues vous regardez le lecteur torse nu avec des gants de boxe : pourquoi la boxe ?
• Lansiné Kouyaté : Ah ! C’est une bonne question !
• David Neerman : Maestro, tu as une réponse à ça ?
• LK : Non non non, c’est toi qui réponds ! Rires.
• DN : L’idée de cette photo remonte au premier album. En jouant face à face comme on fait, on joute en quelque sorte, on joute avec nos instruments. On se mate…
• LK : C’est la guerre. Rires aux éclats.
• DN : On a eu plusieurs idées autour de ce thème, notamment prendre des photos dans un ring, mais finalement voilà ce qu’on a fait, avec le super photographe Denis Rouvre.
• Cela signifie-t-il que, quand vous êtes sur scène, vous êtes sur un ring ?
• DN : Oui, il y a un côté comme ça, parfois.
• LK : Oui.
- Photo © Denis Rouvre
• Et la musique, la pensez-vous comme un dialogue ou une confrontation ?
• LK : Comme un dialogue !
• DN : C’est à la fois un dialogue et un match de boxe. On se complète, parfois de manière musclée. On se rentre un peu dedans.
• LK : De toute façon, ce sont deux univers différents. Moi, je viens de la musique traditionnelle du Mali, avec toutes les évolutions qui ont suivi ; et Maestro ne connaît pas bien cette musique, comme moi je ne connais pas bien la sienne, donc notre rencontre est de l’ordre de l’échange. Dans un ring, on se demande qui va gagner ! Il n’y a que nous et la musique, or, la musique n’a pas de frontière…
• Votre ring est ouvert, alors ?
• LK & DN : Oui !
• DN : La confrontation nourrit tous les rapports humains, n’est-ce pas ? Nous sommes un vieux couple, nous nous disputons, comme tout le monde. Mais sans en venir aux mains, en tout cas pas encore… Rires. Et puis, dès lors que deux cultures se rencontrent, il faut compter le temps nécessaire à la compréhension de l’autre. Nos désaccords s’expliquent parfois par cet écart mais aussi parfois parce que nous sommes deux individus différents, tout simplement.
• LK : Nous sommes deux griots de l’espace, tout là-haut, sur Apollo… Rires. On est très content. On rit beaucoup.
• Et le reste du groupe joue le rôle de l’arbitre ?
• DN : Non, [Antoine Simoni et David Aknin] participent ! Ils sont dans la mêlée avec nous.
• Alors c’est du rugby finalement ?!
• DN : Voilà ! Ce serait plus proche du rugby ! Rires.
• LK : Exactement.
• DN : C’est un travail d’équipe.
• Comment pensez-vous la confrontation entre vos deux cultures musicales par rapport au reste du groupe ?
• DN : Je suis la personne qui fait le lien, puisque d’une part je joue depuis pas loin de dix ans avec Lansiné, donc je commence à le connaître ! De plus nous jouons en duo, comme par exemple à la Dynamo le 12 janvier. D’autre part, c’est moi qui ai amené Antoine et David dans le groupe, donc c’est moi qui joue le rôle du passeur. Si le premier disque était basé sur la musique mandingue, les influences du deuxième sont bien plus mélangées, et quelques idées pouvaient provenir d’une ligne de basse ou de batterie.
• LK : Dans le deuxième, on sent qu’on a fait une synthèse de nos échanges, tandis que dans le premier on restait calmes, soucieux de respecter la « musique originale ». Là, on est complètement fous.
• David Aknin et Antoine Simoni sont aussi présents sur le premier album ?
• DN : Non, il y avait le contrebassiste américain Ira Coleman et le batteur français Laurent Robin.
• LK : C’était plus pratique de travailler avec quelqu’un qui habite en France.
• Est-ce aussi pour cette raison que vous jouez avec des musiciens français, et non maliens ?
• DN : Non, ce n’est pas la seule raison. En fait, il y a eu plein de formations différentes, du duo à des groupes de huit… Le groupe était à géométrie variable. En ce qui concerne David et Antoine, ce n’est pas que parce qu’ils sont français qu’on travaille avec eux, mais parce qu’on aime jouer avec eux, on adore leur son, leur attitude. Ils correspondent davantage à nos nouvelles envies de mélange de styles et d’influences : rock, pop, ethio-jazz, dub, que sais-je encore ! Ils savent faire ce mélange et ont une culture très vaste. Ce sont eux qu’il nous fallait.
• Comment avez-vous pensé le deuxième album, qui, à l’écoute, donne l’impression d’un travail très fini, et qui en même temps brasse énormément de musiques ?
• LK : Le premier morceau par exemple [« Kalo Dié »], on l’a trouvé tous les quatre, à force de jouer ensemble. C’est difficile d’expliquer ce processus, parce que quand on joue, on joue. On garde ce qui nous plaît et on enlève ce qui ne nous plaît pas, c’est tout.
• DN : Lansiné et moi avons fini de nous chercher. Le premier disque tournait largement autour de la musique traditionnelle mandingue, sa « langue maternelle », alors que sur le second, j’ai amené plus de choses de mon côté. Si ça sort comme ça sort, je pense que c’est parce qu’on a digéré toutes les influences de l’autre, ce qui fait qu’on ne se pose pas de questions en composant. Ça vient naturellement.
• D’où viennent les sons électroniques ?
• DN : De mon vibraphone. Il est électrifié et produit toutes sortes d’effets, à travers des filtres, des wah-wahs, des distorsions… Il y a un peu de synthé basse aussi.
• Comment vous êtes-vous rencontrés ?
• DN : Ah ! Maestro ?!
• LK : Grâce à une amie commune qui travaille pour Africolor et le label Kobalt, et qui nous a présentés. Moi je travaillais déjà avec Philippe Conrath [directeur d’Africolor] depuis 1989.
• À combien d’années d’intervalle vos deux disques sont-ils sortis ?
- LK : Le premier date de 2008.
- DN : Ça fera trois ans.
• Alors que vous vous connaissez depuis une dizaine d’années…
• LK : Au début, on a beaucoup travaillé dans le local de David, on se voyait tout le temps pour jouer ensemble. Le premier concert comptait neuf personnes, sans bassiste ! C’était au Satellit’ Café [dans le quartier Oberkampf à Paris], et un bassiste présent dans le public est venu jouer avec nous !
• DN : C’était super !
• LK : On cherchait le bon rythme.
• DN : La bonne formule.
• LK : On l’a trouvée.
• DN : Ce n’est pas courant ce genre de formation, je n’ai jamais vu d’autre groupe assembler vibraphone et balafon. Il fallait trouver une formule qui mette en valeur cet alliage de sons.
• LK : Personne ne l’a jamais fait, pourtant ils sont de la même famille.
• Qu’est-ce que ça vous apporte respectivement, de jouer avec l’instrument de l’autre ?
- DN : Des maux de tête épouvantables ! Rires. Non, c’est extrêmement enrichissant. Même si les instruments se ressemblent beaucoup, le balafon, du fait qu’il est en bois, donne des sons courts, alors que le vibraphone, en métal, tient plus longtemps. Ça détermine déjà la façon d’en jouer. Par ailleurs, le côté polyrythmique de la musique d’Afrique de l’Ouest, et en particulier mandingue, est rare en jazz ; techniquement, j’ai beaucoup appris à son contact. Il y a aussi plein de gammes que nous connaissons : do majeur, gammes pentatoniques, mais utilisées de manière complètement différente. Les ingrédients musicaux sont à la fois proches et extraterrestres dans la façon de s’en servir !
- LK : On n’est pas encore tout à fait au bout, mais on va y arriver… Rires. On va bien s’amuser. Pour moi, ça change du fait d’accompagner une chanteuse ou un chanteur, ce que j’ai toujours fait jusqu’à présent. J’aime être autonome dans l’échange. J’aime jouer et chanter dans le balafon, avec mon maestro ! Rires.
- DN : Le premier disque marque l’aboutissement de notre période sur la musique mandingue. Le deuxième marque le début d’une autre, à mon avis… D’ailleurs, c’est drôle, pendant le mixage, on a eu des idées pour les deux prochains : on en ferait bien un uniquement acoustique, comme sur « Diétou », où nous ne sommes que trois : le balafon, le vibraphone, et la kora de Ballaké Sissoko. C’est très lumineux et très classique, au bon sens du terme. Et puis l’autre serait encore plus trash que les morceaux les plus trash de Skyscrapers and Deities. On torpillerait tout, on irait encore plus loin dans les sons bizarroïdes. À la limite, je ferais bien les deux en même temps ! Rires.
• Oui ! Un double coffret, avec une face A calme et une face B énervée ?
- DN : Voilà.
- LK : Très très bien. Je suis très content que Ballaké joue avec nous ; je faisais partie avec lui de l’Ensemble national du Mali à l’âge de douze ans ! On a joué ensemble, galéré ensemble, on a tout fait ensemble. Le retrouver vingt ans après sur ce disque, par hasard, c’est magnifique.
• Par hasard ?
- DN : Pas tout à fait : il a la même maison de disque que nous : No Format.
• Vous voudriez continuer à jouer avec lui ?
• LK : Oui, pourquoi pas ? On va trouver une combinaison, quelle qu’elle soit, c’est sûr. Il y a plein de possibilités.
• Pour le moment, vous vous consacrez à la sortie du deuxième disque. Ça se passe bien ?
- DN : Oui ! Pour le moment, la presse est plutôt élogieuse. Je suis assez d’accord avec eux. Rires. Le disque est sorti le 26 septembre 2011, précisément. Nous avons fait un concert le 5 à Jazz à la Villette qui s’est très bien déroulé. C’était très agréable.
- LK : Oui, très très bien.
• Quelle est la différence entre l’enregistrement et la version scénique ?
- LK : Il n’y en a pas tellement, on a tout enregistré live. C’est ça qui est bien. On partage plein de choses tous les quatre, plein de bonheur.
• Et le titre ? Pourquoi Skyscrapers and Deities ?
- DN : C’est une phrase que dit Anthony Joseph dans le septième morceau de l’album, « Haïti ». Les gratte-ciel c’est pour la modernité, et les divinités pour le traditionnel. On s’est dit que ça correspondait bien à notre alliance !