Scènes

Les Variations Goldberg de Dan Tepfer

Ce 29 janvier à au Café de la Danse à Paris le pianiste Dan Tepfer proposait son approche des mythiques « Variations Goldberg » de Bach, qu’il joue dans leur intégralité mais en y ajoutant sa touche jazzistique personnelle.


Ce 29 janvier à au Café de la Danse à Paris le pianiste Dan Tepfer proposait son approche des mythiques « Variations Goldberg » de Bach, qu’il joue dans leur intégralité mais en y ajoutant sa touche jazzistique personnelle.

Celle-ci consiste à alterner, après chaque Variation jouée textuellement, une improvisation jazz de son cru, en repartant d’une rythmique, d’une harmonie, d’une gestuelle, d’un thème, d’une bribe de mélodie, tout en restant sensiblement dans le style et sans trop marquer d’opposition ; en somme, Dan Tepfer prend le parti d’apporter une sorte de variation moderne qui s’entrelace dans la Variation Goldberg elle-même.

Dan Tepfer Photo Ptilou Blog

Autant dire qu’à la parution du disque, il y a deux ans, je n’avais pas été subjugué, plutôt pour des raisons personnelles d’ailleurs, que vis-à-vis de la qualité et l’audace du projet. Les Variations Goldberg forment un corpus inoxydable et intemporel, une œuvre quasi sacrée sur laquelle j’imaginais peu qu’on puisse oser « broder » jazz. La pureté, le swing, la mécanique et l’élévation mystique des Variations Goldberg ne me donnaient pas envie d’écouter un propos jazz surajouté à la partition, qui représente pour moi comme pour beaucoup d’amateurs ou de mélomanes une sorte de monument monstrueux. D’autant que ce sont des œuvres que l’on « travaille à l’écoute » pendant des décennies en testant toutes sortes d’interprètes pour en améliorer sans cesse sa sensibilité et sa connaissance intime.

Avec ce concert au Café de la Danse, j’avais enfin la possibilité d’entendre Dan Tepfer donner ce répertoire, qui plus est dans une salle dont l’acoustique irréprochable et la disposition agréable se prêtent bien aux prestations en solo ou en petite formation. J’éprouvais tout de même un peu d’appréhension : je suis avec passion et depuis de nombreuses années l’évolution de Dan Tepfer. En effet, j’ai eu la chance de faire sa connaissance lors de sa formation classique au conservatoire du XIIe. Nous avons d’ailleurs un petit souvenir en commun : l’ayant vu improviser jazz dans une salle où il aurait « dû jouer classique », je lui avais demandé s’il connaissait le « Goodbye Pork-Pie Hat » de Mingus, un de mes standards préférés. Comme à cette époque, absorbé par ses études classiques universitaires, il n’avait pas encore avalé l’intégralité du Real Book, il m’avait répondu spontanément que non… mais qu’il s’y intéresserait… Quelques semaines plus tard il me faisait le plaisir de m’annoncer, tout sourire, qu’il avait enfin abordé le morceau et jaugé que c’était en effet un fameux standard de jazz à connaître et à travailler (sic !). Fin de la digression…

Dan Tepfer Photo Ptilou Blog

J’abordais donc ce concert avec curiosité mais sans attente précise, ce qui est souvent la condition des bonnes surprise. Ce fut le cas… Dan Tepfer bénéficiait d’un très beau Yamaha CFX, un piano d’exception prêté pour l’occasion, qui sonnait de façon idéale, équilibrée. Un peu tendu, il a commencé par la céleste « Aria », puis enchaîné avec la première variation, très rapide, suivie de sa propre variation, moderne et jazz, et poursuivi ainsi son « Goldberg » à sa façon. De mon côté, je goûtais au plaisir de changer d’avis et de me prendre au jeu d’un artiste ! Au fil des Variations, je suis enfin entré dans le cœur et dans l’esprit du défi, et celui-ci est devenu évident, cohérent comme je ne l’avais pas imaginé à l’écoute du disque. Ce pianiste a, depuis deux ans, travaillé et mûri son idée ; on ne joue pas ce répertoire de façon spontanée - surtout quand on est musicien jazz. C’est un cheminement qui prend forcément du temps et nécessite un travail à la fois de forçat et de dentellière. Il faut une immense technique, bien sûr, mais aussi de la poigne et de la souplesse et de la sensibilité pour approcher Bach dans ce qu’il a de plus inatteignable.

J’ai été conquis par son approche et sa maturité. La combinaison des Variations fidèlement exécutées et de leur variation improvisée m’est apparue comme une évidence. L’alternance du propos moderne et de la partition, en effet, met particulièrement en valeur le côté ardu de la succession des pièces dans l’œuvre originale. Chaque improvisation jazz interrompant le discours de Bach apporte un moment de respiration et d‘illustration complémentaire qui vous prépare à la Variation suivante et vous permet de mieux l’aborder. C’est une réussite. Devant cette salle comble qui soutient vivement son interprétation bien à lui comme son goût du risque et sa sensibilité d’improvisateur, Tepfer se surpasse. En - très beau - rappel, il nous offre « All I Heard Was Nothing », un des thèmes de son Five Pedals Deep.

En 2005 déjà, je soulignais les évidentes qualités de Dan Tepfer, qui n’était alors qu’une jeune pousse prometteuse chez qui on pouvait déceler un futur leader et grand improvisateur. Ce concert confirme sans hésitation l’intuition d’un simple blogueur amateur de bonne musique. Beau parcours pour ce pianiste que l’on continuera à suivre avec plaisir, impatience et curiosité.

Goldberg Variations/Variations (Sunnyside)