Portrait

Larry Ochs, fidèle aux potes

Deux albums soulignent l’importance que le saxophoniste américain réserve à la loyauté.


Larry Ochs @ Jaci Downs

Le souffleur Larry Ochs est basé à San Francisco depuis l’été 1971. Il reconnaît que cela le désavantage d’un point de vue strictement musical, avec une scène qui connaît des hauts et des bas. Mais vivre à New York, ville dont il est pourtant originaire, ne lui a jamais traversé l’esprit.

« La côte Ouest est l’endroit où je voulais vivre, clame-t-il. Au début des années 80, je me trouvais à New York et j’ai rencontré le patron du Public Theater, qui s’ouvrait au genre de musique que jouait le ROVA Saxophone Quartet, afin de voir si nous pourrions nous y produire. Il m’a dit “Il faut déménager ici pour que les gens commencent à vous connaître”. Alors, déraciner des musiciens et leur famille, galérer pendant deux ans en jouant pour des cacahuètes. Tout ça pour jouer une fois au Public Theater. Merci bien. »

ROVA est certainement le groupe qui a fait connaître Larry Ochs. Composé à l’origine de Bruce Ackley, Jon Raskin et Andrew Voigt (que Steve Adams remplacera en 1988), le quatuor connaît une longévité exceptionnelle qu’Ochs attribue au renouvellement constant de projets singuliers. Avec leur dernière livraison, The Circumference of Reason (ESP-Disk), nos quatre compères poursuivent leur aventure en rendant notamment hommage à un autre saxophoniste, Glenn Spearman, disparu en 1998 à l’âge de 51 ans, et en raffinant leur mode de fonctionnement.

Larry Ochs @ Jaci Downs

« Lorsque j’ai rencontré Glenn au début des années 90, je m’intéressais surtout à la musique d’Anthony Braxton ou de Roscoe Mitchell, des compositeurs qui cherchaient à introduire l’improvisation dans la musique contemporaine et à repousser les limites du possible, explique Ochs. Le pur free jazz ne me touchait pas vraiment. » Bien que Spearman se place dans la lignée d’un Frank Wright, son incroyable énergie séduit le saxophoniste. Bientôt, ce premier lui permet de « se rendre compte que chaque groupe a son propre univers sonore, son propre système solaire de sons  ». Ils finissent par collaborer au sein du Glenn Spearman Double Trio. Pour The Circumference of Reason, Ochs a arrangé « Extrapolation of the Inevitable » qui figure sur le dernier album du groupe, The Fields (Black Saint) sorti en 1996. De son côté, Steve Adams a composé « The Enumeration » qui invoque avec brio la fougue de Spearman.

La pièce de résistance du disque reste « NC 17 », dont ROVA nous offre deux prises. À l’écoute, il est difficile de croire qu’il s’agit du même morceau. Pourtant, il est symptomatique des efforts que le groupe consent pour trouver des méthodes toujours plus sophistiquées de création musicale. Leur approche repose sur un système baptisé Radar qui comprend une quarantaine de « signaux » ou instructions (voir le feuillet ci-dessous), des options que les musiciens peuvent choisir à leur gré et qui vont les amener à partir dans des directions insoupçonnées, défricher des terres inconnues et aboutir ainsi à des résultats distincts.

NC 17 @ Avec l’aimable autorisation de Larry Ochs

En dehors des membres de ROVA, le batteur Donald Robinson est l’autre grand compagnon de route de Larry Ochs. Lui aussi a fait partie du Double Trio de Spearman et, aux côtés d’Ochs, il a été l’un des protagonistes du trio What We Live et du groupe Drumming Core. Habitant à quinze minutes l’un de l’autre, les deux musiciens font régulièrement des jam-sessions ensemble depuis des lustres. Mais ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’ils formalisent leur duo. « Notre projet est en quelque sorte une distillation de ces deux formations [What We Live et Drumming Core], explique le saxophoniste. En outre, je m’intéresse à la relation entre les deux instruments. Il existe des limitations car je dois m’accorder avec la batterie alors que seuls certains tons sont compatibles. Par contre, rien n’empêche le son d’évoluer. » A Civil Right (ESP-Disk) est leur deuxième album et marque une nouvelle étape dans leur travail en commun avec des objectifs plus précis et une capacité accrue à créer des structures, ce qui explique la variété thématique qui habite chaque improvisation.

Enfin, The Circumference of Reason et A Civil Right marquent le début d’une collaboration avec le label ESP-Disk. « Rares sont ceux qui peuvent et sont prêts à avancer l’argent pour la location d’un studio, par exemple, et les projets de ROVA peuvent coûter cher, affirme Ochs. Cela fait quelques années que nous sommes en pourparlers. Ils étaient intéressés d’entrée, mais il a fallu faire la queue comme tout le monde. » Cette alliance se poursuit avec le prochain album du trio Jones Jones (avec Mark Dresser à la contrebasse et Vladimir Tarasov à la batterie) dont la sortie est prévue au printemps 2022 et sera accompagnée d’une tournée européenne.