Chronique

La Scala

La Scala

Roberto Negro (p), Théo Ceccaldi (vln, vla), Valentin Ceccaldi (cello), Adrien Chennebault (perc)

Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra

Depuis quelque temps, les productions du Tricollectif s’attirent l’attention au point de paraître rythmer les saisons du jazz hexagonal. Qu’elles sortent sur son propre label ou hébergées par des complices tels qu’Ayler Records, elles en sont, en tout cas, un réjouissant temps fort. Après Can You Smile ? où la marraine du collectif, Joëlle Léandre, devisait avec le trio de Théo Ceccaldi, c’est au tour du pianiste Roberto Negro de proposer sa Scala en quartet en compagnie des indéfectibles frères Ceccaldi. La Scala n’évoque pas Milan, nonobstant son héritage classique revendiqué ; nulle loge en velours rouge, pas trace de Verdi. La « Scala » de Roberto Negro est une échelle. Un escabeau où l’on grimpe pour voir plus haut. Un paradoxe, pour cette musique qui ne supporte pas les barreaux ? Alors c’est une Scala de cordes, l’échappatoire idéal pour aller voir le ciel et ses sept plages, légères comme le vent.

C’est sur l’archet de Valentin Ceccaldi que commence le voyage. « Zapoï » est une longue pièce qui permet à Negro de confirmer un talent pour l’écriture et l’orchestration qui éclatait déjà sur Loving Suite pour Birdy So. Grave et mystérieux, le violoncelle avance à pas de loup dans un amas de cordes, vite rejoint par un piano placide et un violon ténébreux. Nous sommes dans la forêt, à la lisière de la Seconde École de Vienne. A mesure que les percussions contemplatives d’Adrien Chennebault (Walabix) se dessinent dans le paysage, l’ensemble se densifie et forme une longue progression théâtrale où les trois musiciens, dans le dernier tiers du morceau, vont saisir les éléments du décor à bras le corps pour mieux les entrechoquer. Avec un sens évident de la mise en scène, le pianiste laisse Bartók couper la route à Schoenberg dans un grand éclat de rire. Sur le bref « Enjambées », algarade entre les vociférations du piano et la fougue soudaine de Chennebault, on croirait même voir les deux maîtres esquisser un pas de danse.

Car l’humour est omniprésent dans cette façon de traverser le XXè siècle par le chas d’une aiguille, en y pénétrant par la face écrite pour en ressortir par son envers improvisé. Par exemple sur « Coucou Hibou » qui fait songer à ces chahuts où l’on joue des coudes pour passer devant les autres. Les pizzicati du violoncelle s’agglutinent à la main gauche de Negro qui d’abord badine, se fait de plus en plus vindicative à mesure qu’elle est piquée au vif par la raucité du violon. Ce n’est pas un rire canaille ou truculent, c’est un souffle malicieux qui sait transformer le dérisoire en élan poétique gonflé d’émotion. C’est surtout une manière très spirituelle de laisser libre cours à son aisance créative et technique sans tomber dans l’ornière de la virtuosité vaine. Ainsi, sur « Free Dots To Pax Part 1 », les giboulées incertaines du piano ouvrent l’espace à une conversation dramaturgique entre les deux Ceccaldi avant de revenir, en compagnie de Chennebault, tirer le rideau aux limites du silence. L’échelle ici est de celles qui vous donnent un délicieux vertige ; on y monte comme les grenouilles du météorologue, pour se voir confirmer que l’avenir du Tricollectif est au beau fixe.