Lisa Cat-Berro
Inside Air
Lisa Cat-Berro (as, voc), Julien Omé (g), Stéphane Decolly (b), Nicolas Larmignat (dms).
Label / Distribution : Gaya Music / Socadisc
Il y a des disques qui vous chantent au creux de l’oreille une musique dont les contours souvent feutrés et intimistes, parfois électriques, n’en sont pas moins persistants. Et bienfaisants, reconnaissons-le. Un peu comme un paysage verdoyant qu’on admire pour sa lumière au point du jour et qu’on peut encore contempler une fois les yeux refermés.
C’est un peu ça, l’univers de Lisa Cat-Berro et de son Inside Air [1], un disque attachant dont les couleurs ne doivent rien au hasard. La saxophoniste, disciple de Lee Konitz et nourrie au jazz par un père mélomane, a patiemment élaboré un puzzle musical dont les pièces s’assemblent ici dans une vraie harmonie. S’appuyant sur un trio de musiciens (guitare, basse et batterie) eux-mêmes très attachés à l’idée de texture sonore, elle laisse libre cours à son besoin existentiel de mélodie et de chant, qui s’épanouit naturellement au travers de ses propres compositions comme sur des reprises de Joni Mitchell (« Little Green », « Last Chance Lost »), de Neil Young (« Old Man ») ou du thème de Nous nous sommes tant aimés, le film d’Ettore Scola. Une manière allusive de nous dire son amour du cinéma, celui de Jean-Pierre Melville par exemple.
Lisa Cat-Berro affirme avec cet album au son méticuleusement ciselé [2] une personnalité fusionnant énergie et douceur, qui s’est forgée au fil des ans : diplômée du CNSM de Paris en 2007, membre du Lady Quartet de Rhoda Scott avec Sophie Alour et Julie Saury, elle a par ailleurs accompagné François Morel dans son spectacle Le soir, des lions, où sa chanson revêtait les couleurs d’une mise en scène théâtrale. Passionnée par les musiques du monde, par toutes les musiques, devrait-on dire, elle devait tôt ou tard en tenter une synthèse qui dépasse le cadre formel du jazz. On peut avoir écouté Charlie Parker ou Cannonball Adderley sans pour autant ignorer la richesse harmonique des chansons de Joni Mitchell ou éprouver du plaisir à l’écoute de Harvest de Neil Young. Inside Air est avant tout la réalisation d’une image sonore qu’elle avait en tête, et qu’elle a pu faire éclore dans une belle complicité avec Julien Omé, Stéphane Decolly et Nicolas Larmignat, trois musiciens dont les diverses expériences (Rocking Chair, Rigolus, Crlustraude, La Société des Arpenteurs de Denis Colin…) ne laissent aucun doute quant à la vigueur de leur quête créative et leur volonté d’aboutir à la définition presque maniaque d’un son. Tous se laissent aller aux surprises quand la situation l’exige (c’est en cela que l’esprit d’Inside Air est jazz), et donnent aux idées le temps de mûrir, jusqu’à l’évidence.
Toujours en quête d’ouverture, Lisa Cat-Berro ne néglige d’élargir sa palette en ajoutant ici ou là un trio à cordes, sa propre voix (« Inside Air », « La Passerelle »), celle de Joni Mitchell ou, plus inattendue, celle de… Winston Churchill (« L’arme de l’ange »). Voilà bien une fusion dont les principes actifs, loin de se dissoudre dans l’anonymat d’une alchimie trop suave, captent l’attention par une fraîcheur curieuse, soulignée par le grain d’un saxophone alto hissé au rang de voix.
La force de ce disque, finalement, est peut-être aussi et surtout de parvenir, très vite, à affranchir sa petite musique entêtante de toutes ces belles références pour dessiner son univers bien à lui, une sorte de chamber jazz impressionniste d’ombre et de lumière, ouvert au monde, qui crée un attachement qu’on devine durable.