Entretien

Lisa Cat-Berro

Les voies de la musique

Photo : Christian Taillemite

Lisa Cat-Berro multiplie les projets, tous azimuts, et à chaque fois nous révèle une nouvelle facette de son talent. A la fois compositrice, auteure, saxophoniste, pianiste ou encore chanteuse, elle déploie un registre d’expression artistique impressionnant, dans lequel elle s’investit totalement. Rencontre avec une musicienne qui agit, réagit, et emprunte les routes de sa vie en musique.

« Avec ma sœur, la chanteuse Sonia Cat-Berro, on a grandi au sein d’une famille de mélomanes. Mon père animait une émission consacrée au jazz dans une radio locale et avec ma mère nous jouions du piano, allions à la chorale. La musique a donc toujours été très présente, et très vite, je me suis mise au saxophone. » Même si l’idée de vivre de la musique n’est pas immédiate, adolescente elle découvre la vie en tournée avec une fanfare dans laquelle elle joue. Une expérience marquante et des années décisives pour elle. « Au lycée, j’avais également un prof d’histoire, Jean-Jacques Taïb [1]. Il avait monté un big band au lycée, on apprenait beaucoup de répertoire avec lui. La musique prenait de plus en plus d’importance, mais j’ai tout de même été au bout d’une prépa littéraire, avant de prendre la décision de faire de la musique à temps plein. J’ai alors intégré le CNSM de Paris. »

En 2012, elle enregistre Inside Air, un premier album très prometteur. Puis c’est aux côtés de François Morel qu’on la retrouve, d’abord sur scène et en studio où elle écrit des arrangements pour l’album La vie, titre provisoire. Mais des problèmes de santé viennent interrompre cet élan, et l’obligent à mettre ses projets entre parenthèses, pour prendre du repos. « C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de disque depuis, j’ai traversé une assez longue période pendant laquelle je pouvais à peine bouger. J’ai donc exploré d’autres choses, comme l’écriture de textes, de chansons. J’en ai beaucoup aujourd’hui, je compte en utiliser une partie dans mon prochain album, où je serai 50 % saxophoniste, 50% chanteuse. » Ce deuxième disque se fera avec les mêmes musiciens que pour Inside Air : Julien Omé à la guitare, Stéphane Decolly à la basse et Nicolas Larmignat à la batterie. Le groupe a d’ores et déjà commencé à travailler sur ce nouveau répertoire. « Ce sera un album dans la continuité du premier, avec une certaine filiation, mais aussi plein de nouveauté. Depuis 5 ans, nous avons tous évolué. »

Lisa Cat-Berro, Julien Omé, Stéphane Decolly, Nicolas Larmignat par Christian Taillemite

Aujourd’hui, Lisa Cat-Berro revient en multipliant les collaborations : elle a été invitée à jouer du saxophone sur le dernier album de la chanteuse Louise Thiolon, elle a écrit, chanté et réalisé les chansons d’un livre Audio pour enfants d’Aïda N’Diaye, elle a composé l’intégralité du prochain album de piano solo d’Armel Dupas [2]. Mais elle se produit aussi régulièrement avec le Rhoda Scott Ladies All Stars , un projet 100% féminin. Une formule plutôt rare et exceptionnelle, qui renvoie à la question de la place des femmes dans le jazz. « C’est vrai qu’on n’est pas nombreuses, c’est donc un peu difficile de s’imposer, il faut faire ses preuves, mais c’est le cas pour toutes les femmes et dans d’autres secteurs. Quand j’étais petite, je ne me suis pas dit : je vais jouer du saxophone, c’est un instrument masculin, tout comme le jazz est une musique masculine. Je voulais jouer du saxophone, point. Puis c’est ensuite qu’on nous renvoie l’idée qu’on est une femme, et que c’est la marge. » Même chose en ce qui concerne l’absence de modèle féminin lorsqu’elle a commencé le saxophone. « J’étais tout simplement fan de Cannonball Adderley, et je ne me disais pas : c’est un homme, je ne peux pas en faire un modèle. Par contre, je me suis rendu compte tout récemment lors d’une interview de Rhoda Scott, qu’elle était le premier modèle féminin proche, et que nous n’en n’avions pas tant que ça. Je n’oublie pas des femmes comme Sophia Domancich ou Hélène Labarrière, mais Rhoda Scott est la première que je côtoie de près. » Pour elle, le sujet révèle un problème plus large. « Tout cela renvoie au sexisme de manière plus générale. En tant que femme, au quotidien, dans la rue, on vit avec certaines craintes qui modifient notre comportement, sans même nous en rendre compte tellement c’est ancré depuis toujours. C’est lorsque les choses commencent à être formulées qu’on en prend conscience. » Et les prises de conscience sont de plus en plus nombreuses, les choses changent. « Il y a du positif, certains artistes souhaitent vraiment la mixité dans leur entourage. Globalement, au quotidien, ça se passe plutôt bien. »

Rhoda Scott Ladies All Stars par Gérard Boisnel

La saxophoniste précise que le groupe Ladies All Star n’est d’ailleurs pas, à l’origine, un projet visant à revendiquer quelque chose. « Le groupe a été formé à l’occasion de la journée de la femme, par des programmateurs dans le cadre de Jazz à Vienne. L’initiative ne vient pas de nous. Après, on est très contentes de le faire, de continuer, cela a quand même du sens. Mais c’est à double tranchant car, même si c’est important, on a parfois des réticences avec ce genre de choses, on ne veut pas non plus se ghettoïser. En réalité, ce qui a le plus de sens à mes yeux, ce sont les groupes mixtes, ça met une autre énergie. Un quartet constitué de 2 femmes et 2 hommes, par exemple, est une excellente formule, et c’est là où chacun se sent le mieux. »

D’autres sujets actuels lui tiennent à cœur, notamment la crise écologique que nous traversons. « En tant qu’artiste, je ne crois pas que ce soit seulement sur scène qu’on puisse faire quelque chose. Quand on rencontre des gens dans le milieu associatif, qu’on discute, et si on se sent un minimum concerné par ces sujets, on voit bien qu’on peut tous participer, chacun à sa façon. Il y a beaucoup de choses qui se font déjà, des associations militantes qui font aussi du culturel, et c’est là qu’on peut s’engager avec eux en tant qu’artistes. Mais je crois beaucoup à l’engagement de tout un chacun, au niveau local ; les circuits courts, le changement de consommation, l’entraide. »

Lisa Cat-Berro par Christian Taillemite

La musicienne a également intégré dans sa vie une pratique quotidienne de la méditation qui lui a ouvert des perspectives, bien au-delà de ses aspirations premières.« Lorsque j’ai eu mes problèmes de santé, je me suis retrouvé allongée des jours, voire des semaines. J’ai alors développé la méditation que je connaissais un peu jusqu’ici. J’ai ouvert un espace de ce côté-là, cela m’a tellement aidé que j’ai continué ensuite. Depuis, je pratique quotidiennement et cela a une certaine influence sur mon jeu, en improvisation notamment. Je me sens plus concentrée, plus dans l’instant, je cours moins après les notes et laisse venir. Je suis davantage à l’écoute, cela donne des choses nouvelles et la musique est plus spontanée. »

Si la saxophoniste souhaite chanter sur son prochain album, elle se garde de comparer sa démarche avec celle de sa sœur Sonia. « Ma sœur est indéniablement un modèle vocal, mais je n’aborde pas les choses ainsi. Être dans la comparaison n’aurait pas de sens, ni grand intérêt. J’essaie de faire mon truc en restant proche de ma voix parlée, sans chercher à être dans la perfection vocale. Le répertoire, également, est différent. » Les deux sœurs collaborent depuis toujours de près ou de loin, mais le temps d’un album réunissant les sœurs Cat-Berro n’est pas encore venu. « Rien n’est prévu pour l’instant, même si parfois on y pense. Ce n’est donc pas exclu, mais pas d’actualité. Pour le moment, on est chacune plongée dans nos projets respectifs, mais jamais bien loin l’une de l’autre. »

par Raphaël Benoit // Publié le 13 janvier 2019
P.-S. :

[1Saxophoniste ténor, notamment dans le quintet de Ronald Baker.

[2« Broderies », à paraitre en Fevrier 2019.