Chronique

Stefano Battaglia

Pelagos

Stefano Battaglia (p)

Label / Distribution : ECM

De prime abord, quand on nous annonce un double album de piano solo, on hésite un peu. On craint que ce ne soit trop long, on se dit que c’est pour les spécialistes, et que spécialiste, on ne l’est pas, alors on ne se sent pas concerné. Et puis que de toute façon, Keith Jarrett, en l’espèce, c’est un peu Attila. Alors on n’est pas certain de vouloir rester. Mais quand on sait qu’il s’agit de Stefano Battaglia, alors on veut bien essayer encore un peu, et écouter, pour voir. Et c’est heureux, car on découvre qu’il y a un monde potentiel dans cette musique, à condition de se laisser porter par elle.

Pelagos évoque à la fois les organismes aquatiques vivant au plus près de la surface de l’eau, mais aussi le sanctuaire de Pélagos, cet espace maritime en Méditerranée, réservé à la protection des mammifères marins qui le fréquentent. Le génie de Stefano Battaglia est d’offrir une musique minimaliste, recentrée, intime, mais qui se déploie sur l’infiniment grand. Comme l’individu tout petit face à la mer, l’auditeur est saisi par l’étendue d’un paysage qui n’en finit pas d’être et d’émouvoir. Alors non, on ne s’ennuie pas une seconde, on est attrapé au cœur, on est suspendu à l’écoute des titres qui s’enchaînent et qui emplissent tout, offrant des images qu’on suppose tirées d’un bestiaire aquatique et volatile.

Des musiques improvisées, d’autres écrites, une reprise en deux versions de la chanson traditionnelle arabe « Lamma Bada Yatathanna », le tout enregistré lors de concerts ou de sessions plus intimistes, joué tantôt au piano, tantôt au piano préparé, voire aux deux simultanément, a ensuite été arrangé par le producteur Manfred Eicher, qui selon Stefano Battaglia, y a insufflé « une nouvelle forme fantastique, fondée sur une dramaturgie totalement renouvelée ».

On ne s’aventurera pas à tenter de définir la musique, à la classifier : rien ne serait plus laborieux et inutile. Puisque c’est un monde qui nous est offert, on préférera l’explorer, s’y glisser, se laisser inviter. Les 17 titres qui font Pelagos sont autant d’occasions d’un temps pour soi. Et on se dit qu’après tout, on ne l’a pas volé, ce moment suspendu. Alors on va rester encore un peu.