Scènes

Florian Pellissier a fait un rêve

Échos masqués de Nancy Jazz Pulsations # 5 – Mercredi 14 octobre 2020, Théâtre de la Manufacture : Florian Pellissier Quintet.


Florian Pellissier Quintet © Jacky Joannès

Ils ne figuraient pas au programme initial de Nancy Jazz Pulsations. Mais à la faveur d’un désistement du trio anglais Mammal Hands, les musiciens du quintet de Florian Pellissier sont venus jouer leur musique au festival. Il y a tout lieu de s’en réjouir.

Jusqu’à une époque très récente, je ne connaissais pas vraiment l’univers de Florian Pellissier. Il aura fallu que son quintet remplace les Anglais de Mammal Hands, qui s’étaient fait porter pâles quelques semaines seulement avant l’ouverture de NJP, pour que je m’intéresse à ce pianiste au sujet duquel mon camarade Olivier Acosta ne tarit pas d’éloges dans les colonnes de Citizen Jazz. En témoigne sa chronique de Bijou voyou caillou, cinquième album d’un quintet dont la composition est inchangée depuis ses débuts, ce qui n’est pas rien. On peut y lire qu’il s’y joue « un jazz durant lequel le curseur se déplace, entre classicisme et modernité, entre swing et groove, entre surprises et refuges identifiés ». C’est un disque dont le son est le « descendant des grands frères américains mais délicieusement parfumé aux essences d’aujourd’hui ». C’est aussi la promesse de se délecter de « quelques épisodes où se rappellent à notre bon souvenir les bienfaits des canons du hard bop quand il swinguait avec puissance ou s’adoucissait au contact de la soul ». Dont acte, voilà qui paraît bien alléchant. Place à la scène, donc, non sans avoir pris au préalable le temps d’écouter les deux derniers albums du groupe, parus sur le label Heavenly Sweetness…

Florian Pellissier © Jacky Joannès

L’ambiance est détendue malgré l’annonce, presque en direct, d’un couvre-feu qui va bientôt confiner un français sur trois ou presque dès 21 heures durant six semaines au moins. Un mauvais signal envoyé à la musique vivante et à toutes les expressions passant par la scène. Quoiqu’il en soit, Florian Pellissier prend les choses avec un humour dont il ne se départira pas durant la soirée. Il faut dire aussi qu’il vient se produire pour la première fois à Nancy et que la garde qui l’entoure est du genre haut de gamme. De quoi ne pas bouder son plaisir. Une rythmique sans faille, alliance de force et souplesse, où s’illustrent David Georgelet à la batterie et un Yoni Zelnik d’une formidable présence du début à la fin. Il est une colonne vertébrale à lui-seul, dans un corps à corps très intime avec son instrument. Côté pyrotechnie, le pianiste peut compter sur les élans créatifs des flamboyants Yoann Loustalot (trompette et bugle) et Christophe Panzani (saxophones ténor et soprano) à qui la parole sera beaucoup donnée. Ce dont ils ne se priveront pas, et c’est tant mieux, chacune de leurs interventions s’apparentant à une belle histoire !

Je repense aux analyses d’Olivier et me dis qu’il a bien raison : il y a dans cette musique quelque chose qui nous renvoie à l’intemporalité de ce jazz du swing et du groove propre à la période hard bop. Pour preuve les références à Herbie Hancock (« I Have A Dream ») et Wayne Shorter (« Speak No Evil ») et à leurs années 60. Ou cette composition de Florian Pellisser (« Coup de foudre à Thessalonique »), dont le piano chante à la façon de celui de McCoy Tyner sur « My Favorite Things ». Et puis ces allusions répétées à la grande époque du studio de Rudy Van Gelder à Englewood Cliffs où le quintet a récemment enregistré un disque à venir dont quelques extraits sont proposés. Parmi lesquels une magnifique ballade dédié au fiston Pellissier, « Rio ». Mais la musique du quintet s’échappe aussi de ce cadre tutélaire pour explorer d’autres pistes, plus complexes et sinueuses, parfois très surprenantes. Qualifions-les de contemporaines. Ainsi cette longue suite (sans nom) en début de concert, dans le final de laquelle il me semble entendre pendant quelques instants une citation de… « The Cold Song » de Klaus Nomi ! J’ai dû rêver, tout comme Florian Pellissier, concentré et pourvoyeur d’une énergie qui circule parmi les cinq musiciens. Le leader a cette capacité d’une présence rythmique et mélodique forte qui laisse cependant toute leur place à ses partenaires.

Une belle, une vraie soirée jazz dont il faut, plus que jamais, goûter la saveur particulière en ces temps vraiment très étranges. J’en profite pour vous recommander un disque magnifique enregistré au studio Van Gelder que j’évoquais un peu plus haut : Florian Pellissier, Yoann Loustalot, Théo Girard et Malick Koly, réunis sous le nom de Le Deal, viennent de publier chez Favorite un Jazz Traficantes fulgurant, une musique de l’instant et débordante de vie. De quoi donner une suite à ce concert en attendant la parution du prochain album du quintet… et d’autres rencontres sur scène, surtout.