Scènes

Becca Stevens ou les pulsations d’une reine

Nancy Jazz Pulsations fête ses 50 ans # Chapitre V – Théâtre de la Manufacture, mardi 17 octobre – Kham Meslien / Becca Stevens Trio.


Becca Stevens © Jacky Joannès

1 + 3. Loin de la fureur électrique de la veille au Chapiteau de la Pépinière, le Théâtre de la Manufacture a joué la carte de la proximité avec le public de Nancy Jazz Pulsations. Au programme, la contrebasse solo de Kham Meslien et le trio de Becca Stevens, notre coup de cœur.

Dans sa chronique de l’album Fantômes… futurs, notre camarade Raphaël Benoit rappelait la relative discrétion de Kham Meslien malgré un parcours déjà fourni qui l’a vu côtoyer des artistes tels que Robert Plant, Archie Shepp ou Robert Wyatt. Le contrebassiste s’est lancé dans l’aventure solo il y a quelques années suite à une demande de concert. Un travail qu’il a peaufiné durant le confinement de 2020. On a donc pu le retrouver hier soir sur la scène du Théâtre de la Manufacture seul avec son instrument… ou presque. Car sa contrebasse – dont les premières notes jouées ne sont pas sans évoquer l’univers d’Henri Texier avec sa belle combinaison rythme / mélodie – fait l’objet de multiples soins et compléments : un pédalier (nouveau et un peu récalcitrant semble-t-il) pour piloter des boucles et autres effets sonores, un charango et quelques percussions, acoustiques ou électroniques. La musique jouée est « illustrée » par un travail de vidéo dont certaines formes géométriques mouvantes peuvent parfois vous donner le tournis. Le concert se présente comme un voyage à la fois visuel (« Couleurs ») et philosophique. C’est un moment agréable dont il faut souligner le caractère pluridisciplinaire et intimiste à la fois (humoristique aussi, ne serait-ce que par les interventions parlées du contrebassiste) ; on pourra regretter toutefois que le recours systématique aux effets lui ait un peu nui parce qu’il tend à en désincarner le propos. On imagine la suite, mais avec d’autres musiciens sur scène.

Kham Meslien © Jacky Joannès

La venue de Becca Stevens à NJP est (et restera) sans doute comme l’un des moments les plus attachants de son édition 2023. La chanteuse compositrice (et guitariste) compte déjà cinq albums sous son nom à son actif, dont le très beau Regina en 2017. Et puis, n’oublions surtout pas qu’on a pu l’écouter au sein du Lighthouse Band, ce groupe emmené par le regretté David Crosby, au sein duquel évoluait un certain… Michael League, leader de Snarky Puppy à qui a été confié le soin d’orchestrer la création des 50 ans de Nancy Jazz Pulsations. Trois albums ont vu le jour, en attendant un ultime disque terminé juste avant la mort du chanteur, dont il est dit qu’il serait le plus beau des quatre.

Becca Stevens © Jacky Joannès

Alors, comment résister au magnétisme d’une telle musicienne qui se produisait hier en trio (avec Chris Tordini à la basse et Jordan Perlson à la batterie) pour présenter les compositions d’un album à venir dont le titre, Maple To Paper, est une réflexion philosophique sur la mort et ce qui nous reste de ceux qui sont partis ? Ainsi présenté, on pourrait imaginer qu’il est question ici d’un concert un brin trop sérieux. En réalité, il n’en est rien : outre un répertoire exigeant de par la richesse des compositions (et de leurs arrangements qui nécessitent un accordage quasiment à chaque chanson) et porté par une interprétation de haut vol (Becca Stevens est l’une des plus belles voix actuelles, ce que n’a pas manqué de souligner l’un de ses pairs les plus prestigieux, Kurt Elling), le trio déploie des énergies conjuguées qui poussent le répertoire vers des territoires situés entre folk, rock et jazz. Le concert culminera avec l’interprétation de « Regina », pour laquelle Becca Stevens troquera sa guitare contre un ukulélé. « Regina », une déclinaison sur le mot « reine » et un titre qu’on décernera volontiers à cette musicienne d’ores et déjà entrée dans la cour des grand·e·s. Mention spéciale enfin pour le rappel avec lequel Becca Stevens est venu faire la démonstration de sa capacité à s’emparer tout naturellement d’une chanson de Joni Mitchell (à qui elle fait souvent penser), ce qui n’est pas la moindre des performances.

NJP 2023, une histoire à suivre très vite…