Chronique

Marie Kruttli Trio

Running After The Sun

Marie Kruttli, piano ; Lukas Traxel, b ; Martin Perret, d.

Label / Distribution : QFTF

La pianiste Marie Kruttli, tout juste 26 ans, sort son troisième album avec son trio composé du batteur Martin Perret et du contrebassiste Lukas Traxel. Ce trio suisse existe depuis 2010 et ce second disque prouve à quel point la longévité et la stabilité d’un groupe sont essentielles à la qualité du son et du propos, surtout en trio piano-basse-batterie, où les éléments de comparaison ne manquent pas. Et cette musicienne, leader et compositrice, place tranquillement son trio dans le peloton de tête.
Déjà remarquée pour son précédent projet en quintet et régulièrement présente sur les scènes européennes, Marie Kruttli fait preuve d’une maturité de plus en plus évidente [1].
Dépouillement, simplicité et concision sont les maîtres mots de son évolution. Le format du trio et surtout cette cohésion dans l’ensemble, cette facilité d’échange et d’écoute entre les musiciens, lui permettent de concentrer le discours sur les mélodies – tous les thèmes sont de sa composition – et la tension du propos. L’accompagnement lui colle au train, suivant le thème, le rythme et amplifiant ainsi l’épaisseur du trait, rehaussant les couleurs. On entend revenir souvent des formules cycliques dans les thèmes, les accompagnements, qui marquent avec entêtement la sensation de déjà-vu jusqu’à un point de tension très contrasté.
Il y a dans le jeu de la pianiste des éléments de langage qu’on retrouve chez certains pianistes coloristes et voyageurs, comme Bojan Zulfikarpasić. Elle partage d’ailleurs avec lui une propension à déployer sa main gauche dans les graves pour enrichir les accords.
Cette maturité s’écoute aussi dans l’espace laissé au silence et à la résonance des notes, comme on laisse un bon vin s’aérer avant de le boire. Pas de précipitation.

Celle qui décrit dans le dossier de presse son expérience affligeante de femme musicienne (« J’ai été exclue de groupes parce que je n’étais pas célibataire… ») n’a aucune raison de douter à présent : elle est bien à sa place et le temps fera son affaire. Puisse ce trio continuer à cheminer ensemble, leur musique originale ne ressemble à aucune autre et sa fraîcheur rassure sur le devenir du jazz : il n’est pas prêt de sécher.