Chronique

Charles Mingus

The Lost Album From Ronnie Scott’s

Charles Mingus, b ; Charles McPherson, as ; Bobby Jones, ts, Jon Faddis, tr ; John Foster, p ; Roy Brooks, d

Label / Distribution : Resonance Records

Pour le centenaire de la naissance d’un des plus grands musiciens de jazz du XXe siècle, le contrebassiste Charles Mingus, l’équipe de Resonance et Sue Mingus, immarcescible veuve gardienne du temple, ont retrouvé et publié des bandes enregistrées en 1972.

Il ne s’agit pas cette fois d’un enregistrement pirate ou fortuit, mais bien de bandes magnétiques de première main, dont l’enregistrement par Columbia avait été programmé pour une sortie en vinyle. Malheureusement [1], la maison de disque décide six mois plus tard de ne plus faire de jazz et rompt tous les contrats. En 1973, donc, les bandes sont renvoyées chez les Mingus, mises au coffre et oubliées.
Cent ans après sa naissance et cinquante ans après cette résidence dans le temple du jazz au Royaume-Uni, les bandes bien conservées sont mis à la disposition du public. Et c’est un bonheur.

Charles Mingus est dans une bonne phase (sa vie est toujours faite de hauts et de bas), il termine une tournée européenne par une résidence de plusieurs jours dans le club londonien. Son livre « Beneath the Underdog » vient d’être publié, il vit avec Sue Mingus, il est reconnu, tout semble aller mieux. Son groupe d’alors comprend trois soufflants, Charles McPherson et Bobby Jones, à l’alto et au ténor, le très jeune Jon Faddis à la trompette, John Foster au piano et Roy Brooks à la batterie (et scie musicale). Il s’agit donc d’un enregistrement particulier qui illustre la parenthèse de quelques mois pendant laquelle Mingus et son batteur fidèle et attitré Dannie Richmond n’ont pas joué ensemble. Rien que pour ça, c’est intéressant.

Les trois CD de ce coffret rendent compte de l’énergie déployée sur scène par le sextet, l’interaction incroyable et l’impensable force qui les pousse à enrichir collectivement un discours musical déjà bien dense. Hormis quelques interludes, la plupart des morceaux sont poussés jusqu’à la demi-heure de durée, formant de véritables suites. Encore une fois, on retrouve une version des « Fables of Faubus », qui démarre en trombe sur un tempo rapide et dont le thème est quasiment jeté à la gueule des auditeurs. Puis pendant 35 minutes, il est détricoté, remonté, démonté, jusqu’à devenir un meccano dont tout le monde dans le groupe s’empare.
Le coffret est accompagné d’un livret de presque 70 pages, en anglais, et qui comprend de nombreux articles, dont une savoureuse interview par Brian Priestley de Charles Mingus et Charles McPherson en 1972, à propos de cette résidence au Ronnie Scott. Rien de mieux pour tout comprendre.

Voilà un disque que les amateur.rice.s de Mingus peuvent se procurer sans hésiter, vu qu’il a été enregistré justement pour devenir un album live officiel, avant la stupide décision prise par Columbia.

par Matthieu Jouan // Publié le 1er mai 2022
P.-S. :

[1Une fois de plus ! Il y aurait matière à un article sur TOUTES les erreurs stratégiques des grandes maisons de disques depuis plus de 100 ans et qui, trop souvent, sont allées à l’envers du sens de l’histoire musicale...