Chronique

Clemens Kuratle Ydivide

The Default

Dee Byrne (as), Chris Guilfoyle (g), Elliot Galvin (p), Lukas Traxel (b), Clemens Kuratle (d).

Label / Distribution : Intakt Records

Après un premier album placé sous le haut patronage de Patrice Lumumba, pour un jazz très contemporain et pétri de politique et de justice sociale, on était impatient de retrouver l’orchestre anglo-helvète Ydivide du batteur Clemens Kuratle. Qu’on se rassure, The Default en est globalement exempt, renouant avec une esthétique bordée d’électronique subtile, dont le pianiste Elliot Galvin est grandement responsable. Découvert dans l’orchestre Adjunct Ensemble, il partage avec Ydivide un certain goût pour la lutte quotidienne. Loin de l’atmosphère noise de la bande de Jamie Thompson, on apprécie le jeu très subtil de Galvin, qui n’oblitère pas une certaine tension ; une colère qui irise ce nouvel album, à commencer par « Hamster’s Wheel » dont on envisagera la tournerie entêtante comme un éternel recommencement. D’autres disent révolution copernicienne. Et la contrebasse impeccable de Lukas Traxel en est l’un des plus brillants artisans.

C’est l’écriture de Clemens Kuratle qui impressionne d’abord dans ce nouvel album. Pour ce qui est du goût pour la polyrythmie et l’approche très contemporaine, proche de musiciens comme Christoph Irniger, tous les germes étaient déjà présents dans Lumumba. Mais il y a dans The Default une qualité supplémentaire, une clarté qui nimbe le très beau « Highway » où le saxophone de Dee Byrne a quelque chose d’une voix. Très influencé par les chanteurs et une pop mâtinée du folk des protest songs, la musique de Kuratle coule de source, comme entraînée par une base rythmique très fluide en dépit de sa grande complexité. Dans ce morceau comme ailleurs, une seconde mécanique se met en place, celle de la confrontation entre la tension immédiate du clavier de Galvin et la quiétude opiniâtre de la guitare de son voisin irlandais Chris Guilfoyle, le fils du célèbre bassiste Ronan Guilfoyle, aperçu souvent aux côtés de Christophe Lavergne.

C’est cette mécanique de précision, qui sait s’emballer parfois (« Deine Wärme »), qui constitue le secret d’un album où Kuratle se conforte dans son statut de leader talentueux ayant l’avenir devant lui. Ydivide [1] est un quintet soudé qui peut aller sur de nombreux terrains, jusqu’à la rupture soudaine et orageuse. Alors qu’il signe avec Julie Campiche une très belle nouvelle étape du quartet de la harpiste, le batteur parvient à imposer une couleur et une atmosphère tout à fait personnelles qui le placent dans la grande tradition des percussionniste suisses, souvent soutenus par le label Intakt.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 mars 2025
P.-S. :

[1Prononcez Why Divide ?, pourquoi diviser ?