Maya Dunietz aime les arbres

Maya Dunietz - Christophe Charpenel

- Votre premier album a été bien accueilli, notamment en France, et vous a valu une certaine reconnaissance. Cela a-t-il changé quelque chose dans votre vie d’artiste et de musicienne ?

Merci, c’est agréable à entendre. Pendant longtemps, j’ai eu la mauvaise habitude de fuir les compliments chaleureux sur ma musique : je n’arrivais pas à les recevoir et à me concentrer sur mon travail ou sur ma prochaine création, mais dernièrement, je me suis laissée aller à profiter de ces belles réactions, et c’est un sentiment très agréable. C’est peut-être l’âge qui m’a apporté plus de souplesse envers moi-même. Je ne sais pas comment cela affectera l’art, mais c’est certainement plus agréable de vivre en acceptant l’amour. En retour, je vous aime aussi !

- Sur ce nouvel album, il y a une reprise - comme « Lover Man » sur l’album précédent - de la célèbre chanson d’Elvis Presley : « Love Me Tender ». C’est une chanson que vous jouez sur scène depuis un certain temps. Quelle est votre histoire avec cette dernière ?

C’est une très bonne chanson, vous ne trouvez pas ? Je n’avais pas de concept fixe pour l’intégrer à l’album, je me sentais juste bien, pour ajouter ce petit moment d’amour chaleureux et cette chanson entre amis. L’histoire de cette chanson, c’est que j’aime la placer dans les échauffements de groupe lorsque je dirige l’exploration vocale… Tout le monde se tient en deux rangées ou en cercle si on est assez nombreux - et chacun masse le dos de la personne qui le précède pendant que tout le monde fredonne doucement cette chanson, puis, au milieu, on change de direction pour masser l’autre personne… C’est très amusant, et je recommande fortement cette activité de groupe : le maître du tuba Yuval Tuby Zolotov, qui joue brillamment la mélodie sur notre enregistrement de cette chanson, était un membre du Givol Choir à l’origine, il a donc massé quelques dos sur cette chanson aussi !

Maya Dunietz

- Vous jouez à nouveau avec votre trio habituel et quelques invités, dont le trompettiste Avishai Cohen. Quand pouvons-nous espérer un projet ensemble ?

Bonne idée ! Ce serait formidable. Avishai est à la fois un maître musicien, une personne formidable et un grand ami. J’adore passer du temps avec lui et avoir des discussions profondes et enrichissantes sur la musique et la vie : j’ai vraiment l’impression que nous sommes ensemble sur le chemin de la musique.

Emahoy est devenue une sorte de grand-mère adoptive

- La pianiste et compositrice Emahoy Guèbrou est décédée récemment. Vous qui jouez sa musique dans le monde entier, quelle a été votre réaction ?

Au-delà de mon admiration pour sa musique et son jeu de piano, Emahoy est devenue une sorte de grand-mère adoptive au cours des deux dernières décennies. Je lui rendais visite aussi souvent que la vie me le permettait et je m’inquiétais pour elle lorsque je n’étais pas là. C’est étrange, depuis qu’elle est décédée, de ne pas avoir cette voix au fond de ma tête qui me demande comment elle va aujourd’hui, de ne pas conduire jusqu’à Jérusalem sans avoir rendu ma traditionnelle visite à Emahoy.
Ça fait un petit trou dans le cœur. Après son décès, j’ai reçu des messages de nombreuses personnes du monde entier qui partageaient leurs sentiments et présentaient leurs condoléances. Cela aide à combler le trou dans le cœur, d’une certaine manière, de sentir que l’on fait partie de cette famille, de ressentir l’amour de la communauté pour Emahoy et de faire son deuil ensemble. Et son esprit continue d’éclairer et d’aider le monde.

un mode essaim, dans lequel chaque individu a une responsabilité totale dans le son de l’essaim mais n’en est aussi qu’une fraction

- En 2019, vous avez écrit la pièce « BROKEN » pour un orchestre d’instruments cassés (« That Orchestra with the Broken Instruments ») et vous demandez à chaque musicien de jouer une seule note minuscule et fine pour obtenir le son d’une pluie battante ou pour faire sonner les instruments comme des animaux. La relation avec la nature est difficile à cacher, n’est-ce pas ?

Oui, après tout, je suis une hippie (…) Quoi qu’il en soit, le moment auquel vous faites référence dans votre question, c’était une répétition avec l’orchestre broken instruments à Jérusalem - élégamment documentée par Yuval Hameiri dans le film « That orchestra with the broken instruments », où j’essayais d’amener les participants dans une sorte de « mode essaim », où chaque individu a une responsabilité totale dans le son de l’essaim mais n’en est aussi qu’une fraction : la pluie est un merveilleux exemple de ce mode.
C’est un espace dans lequel nous dirigeons et sommes dirigés simultanément et harmonieusement, avec un engagement total à ce moment précis.
Et oui, je pense qu’il est vraiment temps de sortir davantage et d’écouter davantage les arbres, les oiseaux et les autres créatures.