Chronique

Merzbow, Haino, Pándi

Become the Discovered, Not the Discoverer

Merzbow (machines), Keiji Haino (g, voc), Balázs Pándi (dm)

Label / Distribution : RareNoise Records

Voir deux figures des musiques radicales du Japon sur le même album est accrocheur, bien évidemment. Le renom de Keiji Haino, sa figure iconique toute en lunettes noires et chevelure blanche hypertrophiée, n’est plus à rappeler. Quant à Merzbow (Masami Akita), il est souvent considéré comme la figure centrale de la Noise, avec plus de 300 albums publiés.
Cette musique proscrit toute joliesse, souvent (mais pas toujours) au profit d’une saturation de l’espace qui aime à tutoyer le bruit blanc, et où ledit bruit est transfiguré en musique par la magie des chamans qu’on décide de suivre. On peut se laisser engloutir dans ce maelström pour pleinement bénéficier de ce jacuzzi sonore à haute énergie qui fait frémir toutes nos chairs et toutes nos synapses, afin d’en sortir totalement régénéré. Ce qui n’empêche pas d’affûter notre écoute pour scruter, déceler certaines gemmes, et de profiter de la jubilation d’un orpailleur chanceux.
Ces deux figures se retrouvent ici en compagnie de Balázs Pándi, batteur hongrois aux esthétiques multiples mais toujours radicales, pour un album au titre énigmatique : Become the Discovered, Not the Discoverer, dû au guitariste. Peut-être une invite à nous fondre en eux.
Un album généreux (71 minutes) avec deux titres : le titre éponyme « Become ... » et « I Want to Learn ... »

Dans la première pièce, nous retrouvons bien évidemment le maelström escompté, y compris avec les veines « pour orpailleurs », par exemple des successions de motifs répétés très graves de Merzbow d’un côté, des batteries de salves stridentes sur la guitare de Keiji Haino, de l’autre, et une avalanche de gros blocs au centre avec les frappes surpuissantes de Balázs Pándi. Quelques plages d’accalmie relative viennent temporairement atténuer ces tornades musicales, pour retrouver bien vite les hautes énergies. Puis le silence... pour amorcer la seconde partie de « Become ... », un peu plus longue : près de vingt minutes contre quinze.
Alors que les improvisations semblent autonomes, on note un court moment de dialogue Merzbow-Pándi, alors que Haino sème des tempêtes électroniques. Merzbow reviendra sur ce jeu de scansion, soit directement sur une note, soit sur certains motifs. Placée au centre, la batterie parvient à surplomber ces puissants canons à particules et à donner un intérêt supplémentaire à cette improvisation.

Le second titre, toujours en deux parties, a un nom tout aussi énigmatique « I Want to Learn to Feel Everything in Each Single Breath ». Quatre notes martelées inlassablement à gauche semblent proposer un semblant mélodique et un vague rappel d’esthétiques plus conventionnelles. Une pause, puis des cordes et des cymbales enfin identifiables, un vent sifflant d’un côté, le retour des peaux au centre, des tremblements sombres de l’autre côté, on retrouve le rôle de scansion des motifs, les granulations de nappes en survol, puis les tempêtes s’amorcent, se développent, alors que la rythmique, assez régulière, sert de balise. Enfin la dernière piste, dans le prolongement des autres, apporte en plus une couleur spécifique. Elle devient progressivement une stase, une sorte de grand-messe, une grande communion électronique.

Cet enregistrement offre une sorte de yoga de la frénésie : on en sort limpide, débarrassé de toutes les scories qui viennent encombrer notre sang et nos synapses. Si vous goûtez ce genre de thérapie radicale, cet album, il vous le faut.