Chronique

Jean-François Pauvros et Guy Girard

7 films

Jean-François Pauvros (g), Keiji Haino (g), Joe McPhee (ss), Charles Pennequin (voc), Makoto Sato (dm), Jean-Marc Foussat (synth), François Causse (dm) ...

Label / Distribution : La Huit Edition/Orkhêstra

Guy Girard filme Jean-François Pauvros depuis les années 80. Il nous en restitue sept courts ou moyens métrages.

Un coffret de deux DVDs. L’un a un titre en forme de clin d’œil, Don Pauvros de la Manche (66 minutes) ; l’autre réunit six autres enregistrements qui vont de 3 à 42 minutes.

On ne tarde pas à deviner le pourquoi du titre. Jean François Pauvros réside parfois dans une petite maison près de la mer, probablement la Manche. Il semble être chez lui : à son arrivée, il n’avait pas tant d’instruments comme bagages. Sa grande silhouette mince, maigre disons-le, fait immédiatement penser aux personnages filiformes de Giacometti, voire au Quichotte à l’encre de Picasso. D’où le clin d’œil.

La première séquence le surprend debout, arc-bouté sur une guitare pour un flux enfiévré, très nerveux, puis le silence.
Il est dans sa cuisine, prépare une omelette et la déguste, assiette sur les genoux tout en jouant de sa guitare, une autre résonnant sur un meuble bas, un frigo peut-être. Le grésillement de la poêle faisait déjà partie de ses notes. Dans sa petite chambre, trois guitares, un clavier, un micro, un harmonica.
Ce film est ainsi fait de courtes séquences, avec Tony Hymas, avec un facteur de guitare qui panse les bobos des instruments maltraités sur scène. Au passage, il reprend l’un de ses tubes, « Memorias del Olvido » (qu’on retrouve dans Buenaventura Durruti) en compagnie du pianiste.
Une séquence forte avec Charles Pennequin. Verres de vin, cigarettes, tentatives d’écriture, rebuffade amicale : « pas poésie sonore », l’autre acquiesce. Alors on reprend des valeurs sûres, « Bite de Chien » et le formidable « Martien », en gros plan sur le visage halluciné du poète, avec la maman toute confite de fierté de son fi-fils qui détruit tout lors de son débarquement sur Terre.
Bien d’autres séquences dont ce moment où notre improvisateur-chamane parle de bruits, ceux à ras de la plage de coquillages écrasés, une amorce de musique qui devient ascensionnelle dans son esprit, et la sortie de son corps, parfois seul, d’autres fois en compagnie, comme avec Keiji Haino, un autre grand sorcier.
Il reprendra cette idée avec Arto Lindsay ; il évoque des sons-souvenirs qui sortiraient des murs, qu’il n’aurait plus qu’à propager.
D’autres scènes encore : il taille sa haie, il la taillade ; il joue face à la mer, souvent, pose sa guitare sur la plage et lui jette du sable, pour les sons produits.
Ainsi s’effacent Don Pauvros et la Manche.

On change de DVD pour trouver un jeune Jean-François en images dédoublées. Une guitare langoureuse et déjà acide. Des accords rock-blues. Les distorsions fusent, les brouillards électriques opacifient le son. La Noise est déjà là. Il joue avec tout ce qu’il trouve. « Là c’est trop. Je vais devoir vous expulser ». C’est « Hôtel Innova », de 1984.
Dans ce second DVD, deux séquences assez longues, l’une avec Keiji Haino et François Causse, au Batofar, l’autre à Vandœuvre, avec Makoto Sato et Jean-Marc Foussat (le trio Marteau Rouge) en compagnie de Joe McPhee.
Pour le Batofar, le film intègre des images marines, un bateau-phare gris qui pourfend les flots, et le Batofar rouge sur la grisaille, des images du métro où Jean-Marc Rouget fait la manche, des images de la grande éclipse du 11 août 1999, Paris sur Seine, la mer Arctique, un ours blanc solitaire, et le concert proprement dit. C’est donc un mix de documentaire, de fiction et de concert, la musique de bout en bout.
La transe plutôt. On parle souvent de rock, de blues, de chants, d’improvisations, de Noise, et c’est certainement tout ça, mais c’est bien la transe le fil d’Ariane de notre Jean-François, la crispation nerveuse sur le manche, les cordes, l’instrument qu’on maltraite pour faire sonner la caisse et son électronique. Haino ne peut que s’y retrouver, lunettes noires pour le voyage intérieur, longue chevelure se balançant pour souligner l’intensité, l’engagement, les cris ou le chant parfois expulsés d’autres fois maintenus calmement en des formes de drones, sur un tapis de mitrailles de la batterie de François Causse.
Le concert avec Joe McPhee est tout aussi enfiévré. On y voit un Makoto Sato déjà dansant sur ses peaux, et un Jean-Marc Foussat comme sous hypnose, face à sa console. On peut imaginer la ferveur du public.
On retrouve Charles Pennequin, avec « Tué mon amour ». Trois minutes hallucinantes. Comme une déferlante de cordes, de paroles et d’images hachées, Tué mon Amour répété, éructé, peut-être improvisé, dans un engagement furieux. Une déflagration. Du pur et indispensable Pennequin, avec un Pauvros totalement chez lui dans cette orgie de cordes et de mots. Une éruption, une explosion.
D’autres témoignages, d’autres musiques comme avec Jac Berrocal. Le dernier film est une forme de synthèse avec Philippe Ambrosini, le lieutenant Di Meglio du feuilleton « Boulevard du Palais ». Il ouvre des portes vers des concerts, des fanfares, un solo de Makoto Sato, une scène de ménage à plusieurs, sur un canapé où se trouve déjà notre guitariste. Une musique belle comme un tocsin... qui ne viendra pas. Le lieu, « Le Studio Campus », ne fermera pas. Le film le plus déjanté de ce double DVD. Ils sont venus jouer au Campus : une liste impressionnante.

À noter, un cahier de 24 pages accompagne ce coffret. Son titre : « Conversation ».

C’est donc une série de témoignages d’amitié, d’admiration pour le grand homme. Ceux qui l’auront vu sur scène savent l’impression puissante qu’il laisse à chaque concert, sa nonchalance, son aisance, son anarchisme souriant, ses rencontres décapantes, et les frémissements de nos cellules, les résonances dans nos os, cette voix grave qui nous chavire. Un très grand bonhomme, une figure.