Chronique

Miles de A à Z

Franck Bergerot

Label / Distribution : Castor astral

Déjà auteur d’un Miles Davis, introduction à l’écoute du jazz moderne (Seuil, 1996) ainsi que du texte du catalogue de l’exposition We Want Miles (Cité de la Musique, 2010), le rédacteur en chef de Jazz Magazine/Jazzman était bien placé pour nous livrer aujourd’hui un Miles de A à Z, sorte de dictionnaire raisonné de l’unique star absolue que cette musique ait connue au cours de son histoire. D’autant qu’il nous fait bénéficier de son immense travail et de ses nombreuses lectures, entre autres des auteurs qui ont fait considérablement avancer la connaissance détaillée de la vie et de l’œuvre du prince des ténèbres ces dernières années : de Ian Carr et Jack Chambers à Laurent Cugny en passant par les apports récents de Paul Tingen, Enrico Merlin, George Cole, John Szwed, Peter Losin et – last but not leastVincent Bessières, commissaire de l’exposition de 2010.

Le principe du dictionnaire - ou des livres à « entrées » ou « enseignes » successives - a ceci de bon qu’il vous laisse la liberté de l’ouvrir à n’importe quelle lettre en fonction de vos souhaits et de votre principe de circulation. En clair : on n’est pas obligé de tout lire dans la continuité, on peut vagabonder de A à Z en choisissant le type d’entrées que l’on souhaite aborder. Ici, par exemple, on peut se diriger vers tout ce qui touche à la vie amoureuse et sentimentale de Miles Davis, à ses rapports avec les femmes, ou vers ce qui concerne sa vie d’artiste, ses rapports avec les producteurs, et ne venir que plus tard vers les commentaires de disques, ou de morceaux. La double entrée du mot « mode » est à cet égard exemplaire, puisque l’une vise le terme dans son sens musicologique (modes musicaux, musique modale), et l’autre dans sa signification courante, qui renvoie au domaine de l’élégance vestimentaire.

Quel que soit le domaine abordé, Franck Bergerot fait preuve d’une précision chirurgicale, et lorsqu’il s’agit de présenter les disques successifs, leurs rééditions, ainsi que les thèmes célèbres de l’œuvre de Miles Davis, il ne nous épargne rien des épisodes qui ont conduit à leur édition actuelle, et sans doute encore provisoire tant il doit traîner encore des prises inédites, ou rares. Là, c’est le plus souvent le musicologue passionné et informé qui parle, absorbé par la structure de la musique, sa construction, ses harmonies et ses barres de mesure, au détriment parfois de sa chair et surtout de la position subjective de l’auteur. Exemplaire est, à cet égard, l’entrée « Dolores », consacrée à ce thème de Wayne Shorter, qui donne lieu sur Miles Smiles à une interprétation de toute beauté : plus de deux pages de considérations musicologiques extrêmement détaillées, une véritable radiographie du morceau, et au bout du compte pour le mélomane un grand point d’interrogation : « Dolores » mérite-t-il l’écoute ?

Naturellement méfiant vis-à-vis de la mauvaise littérature (on le comprend, et on l’approuve), Bergerot ne livre que de façon très pudique ses propres choix, et il faut, du coup, aller chercher comme aiguilles dans une botte de foin les (rares) indications qu’il laisse, ici ou là, sur l’émotion que peut provoquer chez lui l’écoute de tel ou tel morceau ou de tel ou tel disque. Le mélomane est ainsi renvoyé à ses propres lacunes, mais aussi à ses propres choix, et donc à sa liberté. C’est bien. Car Bergerot a la passion d’une certaine vérité, il met en œuvre tous les moyens possibles pour l’atteindre, et cela on ne peut que le saluer.

par Philippe Méziat // Publié le 22 octobre 2012
P.-S. :

Le Castor Astral, broché, 411 pages, 24 €.