Tribune

La Jazz Hotte 2019

Non seulement c’est Noël, mais en plus c’est décembre.


En cette période d’achats compulsifs, voici quelques pistes de cadeaux à offrir aux actifs, futurs retraités, qu’ils pourront revendre plus tard sur des sites d’occasion pour améliorer la faible pension que le système de retraite leur prévoit. Ou alors, comme ce sont surtout de livres, ça fera de quoi chauffer l’hiver, il vaut mieux être prudent.

En attendant, vivons gaiement et profitons-en pour nous instruire.
Cette année, les sorties de livres/disques, entre nouveautés et rééditions, mettent deux artistes en avant : Miles Davis et John Coltrane. [1]

Commençons donc par le trompettiste. Au pied du sapin il est possible de poser deux livres consacrés au musicien.

Le premier est la réédition (chez Le Castor Astral) d’un petit ouvrage court écrit par Quincy Troupe et qui s’intitule Miles & Me. Autrement dit, l’histoire de Miles Davis vue et vécue par celui qui a été son seul biographe autorisé, qui a réalisé des entretiens avec lui à la fin des années 80 et qui a publié Miles, l’autobiographie en 1989, deux ans avant la mort du trompettiste. Dans ce livre, il raconte donc ce qu’il sait, ce qu’il pense de Miles Davis. On le suit et on assiste aux scènes qu’il raconte, la vie privée, comme une petite souris.

Le second est bien plus technique mais passionnant. Il s’agit de la réédition augmentée et mise à jour du fameux Électrique, Miles Davis, 1968-1975 de Laurent Cugny (Éditions Universitaires de Dijon). Le chercheur et musicologue avait publié cet ouvrage en 1993 ; le livre avait connu un certain succès et avait rapidement été épuisé. L’édition d’aujourd’hui comporte une nouvelle préface éclairante, 26 ans de recul plus tard, une biblio et une discographie mises à jour. On y détaille la période électrique la plus féconde et étonnante, qui va de Circle in the Round à Pangaea, en passant par Filles de Kilimandjaro, Bitches brew, Jack Johnson et On the Corner pour n’en citer que quelques-uns. Laurent Cugny décortique les albums, leur conception, leur réception et se demande s’il s’agit de jazz, de rock, de jazz rock ou encore d’autre chose… Essentiel pour qui aime lire sur la musique.

Dans les années 50, Miles Davis, justement, avait monté un quintet dont on dit qu’il est légendaire. Avec celui composé de Wayne Shorter, Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams plus tard, le quintet en question est le premier vrai groupe stable et constructif du trompettiste. Il est composé de Red Garland, Paul Chambers, Philly Joe Jones et John Coltrane. Entre 1955 et 1958, ils ont enregistré pour le label Prestige (qui fête cette année ses 70 ans) une série de prises avec l’ingénieur du son Rudy Van Gelder. Le label Craft Recording propose un coffret vinyle de 6 disques qui reprend ces prises dans l’ordre chronologique. Elles avaient été assemblées à l’époque dans le désordre pour produire les disques suivants : Miles ; the New Miles Davis 5tet, Cookin’, Relaxin’, Workin’, Steamin’ et une partie de Miles Davis and the Modern Jazz Giants. Le sixième disque du coffret donne à entendre des inédits : le groupe lors d’une émission de télévision et en concert dans deux clubs différents. Comme pour le coffret Coltrane 58’, un soin particulier est apporté à la conception du coffret vinyle. Pressage en 180 g, grand livret à la belle iconographie, pochettes cartonnées et dos renforcé. Un beau cadeau, vraiment.

Puisqu’on parle de John Coltrane, deux nouveaux livres sont sortis cette année et lui sont consacrés.

Le premier, John Coltrane : La décennie fabuleuse est signé Jean Francheteau (L’Harmattan) et est consacré à la vie musicale du saxophoniste entre 1957 et 1967, les dix dernières années de sa vie. Entre le fameux quintet de Miles Davis (voir plus haut) et sa mort. Le livre suit l’évolution musicale et personnelle de Coltrane, par chapitres qui collent aux enregistrements réalisés - et ils sont très nombreux. John Coltrane enregistrait énormément. L’auteur présente chaque album comme une étape dans la narration et agrémente de commentaires personnels et pertinents. En fin d’ouvrage, discographie précise, liste des séances et autres annexes complètent l’analyse.

Le second, John Coltrane, the Wise One est signé Nicolas Fily (Éditions Le mot et le reste). C’est une biographie conséquente et documentée (+400 pages au compteur) qui cite de nombreuses sources (beaucoup d’entretiens et, comme c’est un auteur français, issues en partie de Jazz Hot et Jazz Magazine). Bien entendu, on ne peut rien inventer de plus, le saxophoniste est mort en 1967 et depuis, une très nombreuse littérature sur le sujet a coulé, mais cette édition a le mérite de la clarté et l’objectivité, ce qui se fait rare avec ce sujet qui a tendance à transformer les auteurs en adeptes sectaires.

Pour finir, si vous n’aimez ni la trompette, ni le saxophone, deux livres sont consacrés à un pianiste et un batteur.

Keith Jarrett, par Jean-Pierre Jackson (Actes Sud) est un petit livre qui se propose de retracer et d’ordonner pour l’amateur le parcours (toujours en cours) du pianiste. Biographie documentée (l’auteur est un habitué du genre, un sérieux), le livre nous fait découvrir un peu plus celui qui, depuis le Köln Concert de 1975 et ses 4 millions de disques vendus, est une star souvent décriée pour ses caprices et ses lubies. Il s’agit donc d’en savoir un peu plus ; le livre le permet.

Que serait une Jazz Hotte sans un livre de Franck Medioni ? On préfère ne pas savoir…

Daniel Humair : A bâtons rompus (Éditions MF) est un abécédaire réalisé à partir d’entretiens entre le batteur suisse et le serial-auteur. Avec la verve pointue qu’on lui connaît, Daniel Humair se livre avec moins de pudeur qu’à l’accoutumée : il se sent en confiance.
A l’entrée Humeurs, on lit : « J’ai une réputation de merde ». A Disques : « Des disques, j’en ai fait beaucoup. Ils ne m’ont jamais rien rapporté ». Et à Clarinette (qu’il a pratiqué enfant) : « J’ai toujours détesté la clarinette, c’est un instrument qui me fatigue… ». Et lorsque Daniel Humair a joué avec Roland Kirk, ça ne s’est pas bien passé…
Bref, c’est une régalade, truculente à souhait, entre Rabelais et Blier.

Enfin, on termine sur un lot De Wilde. Le combo plus pour Noël.

D’un côté l’édition en poche de Les Fous du son chez Folio : la somme d’informations rassemblées par Laurent de Wilde concernant l’invention du son, du premier microphone en 1870 au dernier synthétiseur né. C’est tout l’historique de l’électrification de la musique, raconté via l’histoire des instruments, des inventeurs… Edison, l’orgue Hammond, Moog, le Rhodes, le Mellotron etc. Une enquête électrique pour les amat.eur.rice.s de son et de technique.

Du même auteur, mais cette fois comme pianiste, sort un coffret (Gazebo/l’autre distribution) intitulé Laurent de Wilde : Three Trios. C’est la réédition de trois disques enregistrés en 1989, 1993 et 2006 avec des musiciens différents (Ira Coleman, Jack deJohnette, Billy Drummond, Darryl Hall, Laurent Robin). On entend ainsi l’évolution du pianiste, celle de son jeu et celle de ses compositions. Les thèmes joués sont en grande partie des compositions personnelles, agrémentées de thèmes signés Thelonious Monk (une autre passion de De Wilde) et Duke Ellington. Un coffret de disques devenus introuvables aujourd’hui, pour les collectionneurs donc.

Sinon, vous pouvez faire un tour sur la page des Élus Citizen Jazz 2019, vous y trouverez des dizaines d’excellents disques à offrir, à vous de voir.

par Matthieu Jouan // Publié le 22 décembre 2019

[1J’en vois une qui s’en étonne ! Effectivement, madame, c’est comme ça tous les ans.