Tribune

Milt Hinton et la puanteur du lynchage

Témoignage d’un lynchage rapporté par Milt Hinton, à méditer en ces temps d’assassinats d’Africains Américains


En 1917, Milt « The Judge » Hinton a sept ans. Celui qui fut le contrebassiste attitré de l’orchestre de Cab Calloway dans l’entre-deux-guerres (au sein duquel, entre autres, il poussa le jeune Dizzy Gillespie), et devint l’un des sessionmen les plus capés de New-York et de L.A. (aux côtés, notamment, de Billie Holiday), a tenu à faire figurer un souvenir d’enfance dans son autobiographie « Playing the Changes ».

Il vit alors en haut d’une colline à Vicksburg, Mississippi, et déambule ce jour-là sur Clay Street avec sa tante Sissy. Il aperçoit une foule vers le croisement avec First North, et entend force hurlements, coups de klaxon et explosions de pétards. Emporté par la curiosité, le minot de 7 ans qu’il est tire sa jeune tante de 15 ans, réticente - comme si elle sentait ce qui arrivait - vers la source de ce tout ce ramdam.

À l’une de ces branches pend le corps d’un homme

Devant un feu de joie, cinquante ou soixante Blancs vident des cruchons de whisky, dansent et vocifèrent des insultes. Ils dirigent ces dernières vers les branches d’un arbre. A l’une de ces branches pend le corps d’un homme, attaché par un long câble métallique. C’est un Noir. Juste vêtu d’un pantalon attaché avec un bout de tissu autour de la taille. Couvert de sang. « Il devait être mort depuis un moment », écrit Milt Hinton. Cela n’empêche pas la foule des lyncheurs de continuer à vider leurs calibres sur le cadavre.

Ce corps qui grillait comme un morceau de bacon

Deux blancs font rouler un bidon d’essence pour le placer sous le corps. Un autre y jette une torche… » et l’endroit s’éclaira comme en plein jour », écrit le jazzman qui continue ainsi : « Plus de soixante-dix ans ont passé et je n’oublierai jamais ce flamboiement, regardant ce corps qui grillait comme un morceau de bacon pendant que la foule se congratulait. Il y avait une odeur affreuse dans l’air. Peu importe que nous nous soyons éloignés, la puanteur était toujours là. »