Chronique

Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance

Osloob Hayati

Naïssam Jalal (fl, Nay, voc), Mehdi Chaïb (saxes, perc), Karsten Hochapfel (g, cello), Mátyás Szandai (db), Francesco Pastacaldi (dm)

Label / Distribution : Les Couleurs du Son

C’est une belle hypothèse, que le chemin longuement partagé permette de traverser les frontières. Car parfois, le voyage et les arabesques méditerranéennes rappellent la douleur des terres de conflit, les martyrs des guerres civiles autant qu’elles enjoignent à célébrer le métissage.

Naïssam Jalal a formalisé un discours musical de résistance en 2011, avec la formation à Paris du quintette hétérodoxe Rhythms of Resistance. Ils construisent une musique sur le temps long, dans un compagnonnage qui a la préciosité des longues maturations, où l’unité cohérente du tout saisit à l’écoute. Les instruments de l’orchestre – Karsten Hochapfel au violoncelle – y côtoient les saxos et les darboukas de Mehdi Chaïb. À l’exigence musicale évidente qui a présidé au choix des musiciens, s’est ajoutée une contrainte de diversité d’horizons. Maroc, Italie, Hongrie, Allemagne, France, Syrie. Alors, contre quoi résiste-t-on ? Contre ce paradoxe de la circulation mondialisée, qui favorise les échanges et en même temps exacerbe les identités, fige et stigmatise certaines communautés, répond franchement la flûtiste. 2011, c’est l’année du début des révoltes arabes et de son corollaire de revendications de liberté, que l’on retrouve dans la forme comme dans le fond de la musique du quintette. L’enjeu est grand : remettre en cause les cadres traditionnels d’une part, tout en reconnaissant l’héritage classique des diverses influences musicales.

Sur la couverture, Naïssam Jalal joue seule face à un mur criblé d’éclats de balles, dans un bâtiment en ruines qui porte les stigmates qui ne peuvent mentir d’un violent conflit. La photo a été prise à Beyrouth. Celle de l’intérieur de l’album offre le panorama des toits de Damas, où la musicienne s’est initiée à la flûte nay au Grand Institut de musique arabe.

Faisant fi des combats à venir, l’ouverture de l’album est pour autant tendre, toute en subtilité. La flûte soliste invite peu à peu dans son sillage les percussions et la basse. “Parfois c’est plus fort que toi” est une grande ondée dont la flûte guide le motif, puis laisse la guitare électrique se promener à sa guise sur le thème. C’est une présentation en règle des musiciens, pour ne pas écraser les singularités dans le tout. La contrebasse de Mátyás Szandai ne peut plus s’empêcher d’intervenir et improvise longuement, repoussant le thème aux confins du titre. C’est plus fort qu’elle. On retrouve plus loin le même superbe travail de basse dans “ Visite matinale,” où le saxophone soprano de Mehdi Chaïb offre ensuite un des plus beaux solos de l’album, construisant un son d’une ténacité inouïe. La batterie de Francesco Pastacaldi, qui joue depuis plusieurs années avec Naïssam Jalal - on les a vu ensemble plusieurs fois sur la scène ouverte de la Miroiterie à Paris - se révèle un pilier infatigable durant les explosions sonores qui colorent « Beirut », en clôture d’album.

C’est dangereux, tout de même, le jeu du syncrétisme. Nombreux sont ceux qui invitent rythmiques et modules aux influences orientales dans leurs compositions et n’obtiennent qu’un résultat orientaliste de bon aloi. Ici au contraire, les traversées entre les différents champs esthétiques élèvent l’ensemble, tel le lancinant parcours de “Nomades”, qui fait plus qu’emprunter aux rythmes et mélodies orientales. La flûte s’y découvre frénétique, déterminée, envolée. Et c’est une constante : la flûte de Naïssam Jalal est franche, on reconnaît sa sincérité quelle que soit l’intensité du jeu engagé. « Pourtant je ne connais de frontières que celles de mon corps », scande le texte de “Frontières”. Une telle exclamation n’est pas candide : c’est un projet politique.

« Ma musique est unique parce qu’elle est l’expression de ma singularité propre : femme musicienne, syrienne et française, arabe et européenne, nomade et sédentaire, à la recherche des traditions et de l’inconnu. », témoigne la flûtiste. Pas étonnant que le syncrétisme fonctionne.