Chronique

Nduduzo Makhathini

Ikhambi

Nduduzo Makhatini (p, voc), Magne Thormodsaeter (b), Ayanda Sikade (dm), Eddie Parker (fl), James Allsopp (ts), James Mainwaring (as), Dennis Rollins (tb)

Label / Distribution : Universal

Ce jeune pianiste sud-africain de 34 ans, à la tête d’un ensemble de dix-huit musiciens (dont cinq percussionnistes et cinq choristes), livre un album d’une densité musicale et spirituelle rare. Entre traditions musicales Zulu et maestria ellingtonienne, ce disque renoue avec la force du jazz d’un pays marqué par le sinistre apartheid. Car, même si la mise à l’écart des Noirs au « pays de l’arc-en-ciel » est officiellement abolie, le travail de résilience reste à faire : c’est le message que délivre Nduduzo Makhantini avec un orchestre dont il joue (comme le Duke) avec délectation, non sans se révéler au passage comme un pianiste d’exception. Son jeu instrumental, à la fois doux et enragé, s’inscrit dans le patrimoine immatériel de son peuple : pour les Zulus, la musique et la danse participent de l’art de la guerre (ici de la résistance) comme de l’art de la guérison. Lui-même initié comme guérisseur, Makhantini n’en est pas moins un jazzman d’exception, initié à un jazz trempé dans les sources sud-africaines aux côtés d’improvisateurs comme le légendaire saxophoniste Zim Ngqawana (auprès de qui Raphaël Imbert était allé chercher quelque source d’inspiration). Ses vamps et ses solos, empreints de lyrisme et gorgés de soul, sont autant d’hommages à son peuple et aux peuples du jazz.

La conduite d’un orchestre aux atours symphoniques (présence d’une harpe) se révèle d’une efficacité sans pareille, conjuguant ces chœurs mobilisateurs que l’Afrique du Sud offre souvent au monde (on pense au travail de la Marmite Infernale avec le Nelson Mandela Metropolitan Choir) avec des vents qui, en section ou en solos, conduisent à une transe dansante. La rythmique, renforcée par un ensemble de percussions loin de toute caricature « africaniste » (la présence de tablas rappelle l’influence indienne sur les cultures de la « Rainbow Country »), embarque l’orchestre et l’auditeur dans une expérience sensible universelle. Les incursions free font irrémédiablement penser au « Brotherhood of Breath » de Chris McGregor, illustre prédécesseur décédé en exil en France il y a bientôt trente ans, bien que celui-ci se prévalût de l’univers Xhosa et non Zulu (il faudrait être musicologue pour déceler les ressemblances et différences entre les codes musicaux issus de ces deux cultures !).

« Une projection d’énergie de guérison à travers une expérience sonore » : tel est le programme que s’est fixé Nduduzo Makhatini. Avec ce disque aux atours rituels qui ne sombre jamais dans un tribalisme de mauvais aloi, il réussit, à la tête d’un orchestre d’exception, un tour de force sensible et décolonisateur qui tend à l’universel.