Entretien

Nicolas Gardel, trompettiste hors pair

Entretien avec le trompettiste repéré avec The Headbangers et, depuis peu, en duo avec Rémi Panossian

Nicolas Gardel (c) Michel Laborde

Il y a comme ça des musiciens qui, l’air de rien, s’avèrent être de sacrés phénomènes. Nicolas Gardel, en chevauchant le jazz, le groove ou encore le classique, est l’un d’eux.

- Vous avez une solide formation classique, notamment via le conservatoire de Toulouse. Qu’est-ce que cette formation vous a apporté ?

Je ne dirais pas ça comme ça. C’est plutôt le jazz qui m’a apporté et qui a infléchi ma manière de jouer et de concevoir la musique. Le classique, j’y ai été depuis petit. C’est quelque chose de naturel. J’ai gagné un prix en classique au Conservatoire de Toulouse à 18 ans et, quasi immédiatement, j’ai voulu aller vers le jazz. C’était concomitant avec une expérience dans un groupe de rhythm and blues que j’ai faite vers 17 ans. J’avais alors envie d’aller sur des styles que je ne connaissais pas, sur autre chose. L’improvisation me fascinait, j’avais envie de musiques plus syncopées, de sons différents. Ça m’a permis aussi de me rendre compte que la musique est un domaine très vaste. A l’époque, j’ai fait un stage avec Claude Egéa qui avait un parcours semblable au mien. On a eu les mêmes enseignants, que ce soit Jacques Adamo, Robert Pichaureau ou Albert Calvayrac. Il m’a bien entendu appris plein de choses mais surtout il m’a rassuré sur la possibilité de passer du classique au jazz. Et finalement tout ça est l’histoire de ma vie.

- Avec The Headbangers, vous proposez un registre qui s’apparente au funk, au rock, voire à la pop. J’imagine donc que vous vous nourrissez d’une multitude d’influences. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce propos ?

J’ai une formation classique mais, adolescent, j’ai écouté du rock, beaucoup même. Et bien entendu, je continue. Du rock mais aussi de la scène émergente. Le rock me touche autant que d’autres styles. Il y a beaucoup d’énergie et j’aime cette sensualité basée sur la puissance. Mais je crois aussi que c’est une expérience commune à plein de gens.

(c) Michel Laborde

- Dans votre duo avec Rémi Panossian, le registre est, si je puis dire, exclusivement jazz. En revanche, ça peut être classique comme plus avant-gardiste. J’imagine que la partition entre modernes et anciens ne vous satisfait pas du tout.

Je ne sais pas ce que ça veut dire, « moderne ». J’ai même assez peur de ce que ça cache. En tout cas je m’en méfie. Moderne, c’est être à la mode et ce qui est à la mode, à un moment, devient démodé. Et puis « moderne », c’est une généralisation et quand ça généralise, c’est inquiétant. Il y a quelque chose de l’ordre de la fausse émancipation. Coltrane, c’est moderne et pourtant ça a soixante ans, voire plus. Parker, Armstrong ne sont pas considérés comme modernes. Mais finalement qu’est-ce que ça signifie ? Est-ce que derrière cet adjectif, il n’y a pas une nostalgie de la révolution sexuelle, culturelle des années 1960 ? Moi je peux dire que Santana est considéré comme moderne alors que ça a franchement vieilli. Je peux dire que c’est kitsch alors qu’il est aux yeux de certains une icône du moderne. Pour notre duo avec Rémi, je dirais qu’on fait un jazz de chambre et que si on est moderne, c’est parce qu’on ose. Mais, surtout, je me méfie de ce mot « moderne ».

- Avec Rémi, vous vous connaissez depuis longtemps. Vous interveniez d’ailleurs sur Do, un album initialement en solo de Rémi, et sur le dernier album du RP3. Comment a germé l’enregistrement de The Mirrors ? Et pourquoi est-ce arrivé assez tard dans votre rencontre musicale ?

C’est arrivé naturellement. A force de discussions, de débats, on a trouvé une ligne commune. De mon côté, le cocon du duo m’a permis de retrouver une de mes facettes musicales que je n’avais pas exploitée jusqu’alors mais qui avait été nourrie notamment par mon parcours classique.

(c) Pierre Vignacq

- La trompette est un instrument très répandu dans le jazz, voire même emblématique de ce genre. J’imagine que vous avez écouté et réécouté nombre de trompettistes et que vous continuez.

Oui, j’écoute des trompettistes mais en fait, j’écoute plutôt des groupes. Il est vrai que lorsque j’entends de la trompette, j’ai une oreille très attentive et j’entends des détails, des choses que d’autres personnes, qui ne sont pas trompettistes, ne vont pas remarquer. Mais en même temps, je peux alors passer à côté de la musicalité. J’essaie d’écouter la musique avant d’écouter l’instrument.

- Sans contradiction avec une aura qui va maintenant très au-delà, vous êtes très étroitement associé à la scène toulousaine. Or, de l’extérieur, on a le sentiment qu’il y a un esprit collectif entre musiciens de cette scène. Est-ce le cas ?

Oui mais c’est informel. Je dirais qu’on est plutôt une génération. On a grandi ensemble musicalement, on se connaît tous et il y a un esprit familial, c’est sûr. Depuis quelques années, la génération suivante s’intègre et puis ça va au-delà du jazz. Il y a beaucoup de musiciens avec qui je n’ai jamais enregistré alors qu’on se connaît par cœur et ce que j’ai fait avec Rémi, je pourrais le faire avec d’autres. Alors oui, c’est le signe qu’il y a quelque chose entre nous.