Chronique

Orchestre Franck Tortiller

Collectiv

Après un solo remarqué, le vibraphoniste Franck Tortiller, ancien directeur de l’ONJ propose avec Collectiv une toute nouvelle formation, axée sur la jeunesse. Allié à son fils Vincent Tortiller à la batterie (épatant et sanguin où qu’il soit), il a pêché dans cette classe d’âge dix musiciens qui s’épanouissent autant dans le fonctionnement d’un grand orchestre de jazz de facture classique que dans une rigueur rythmique impeccable. En témoignera la « Suite en F », véritable profession de foi en trois parties pour l’orchestre où la basse électrique de Pierre Elgrishi rebondit sur le Rhodes de Pierre-Antoine Chaffangeon. Les échanges sont denses, bien encadrés par la batterie, mais lorsque le vibraphone mène la danse, les climats changent, dans des tutti de soufflants bienvenus.

Parmi ceux-ci, il y a également toute la gamme des couleurs et des sentiments. Entre Maxime Berton, ténor suave qui aime à discuter avec les maillets de Tortiller et Joël Chausse, trompettiste puissant et amateur de ruptures, c’est une palette extrêmement complète qui s’offre au chef d’orchestre. À cela s’ajoutent des individualités comme l’explosif tromboniste Léo Pellet qu’on apprécie déjà chez PJ5 ou Kami. Ils permettent de construire une belle narration qui s’offre des références du côté du Miles électrique ou des grandes formations de Charles Mingus, à l’image du « Hobo Ho » qui ouvre l’album sur une régalade de saxophones (Pierre Bernier et Abel Jednak) et un abord volontairement bravache. Mais sous les rodomontades, lorsque l’agilité reprend le dessus, c’est l’aspect foncièrement chaleureux qui s’épanche. La théâtralité n’effraie pas Tortiller, ancien du Vienna Art Orchestra.

Le vibraphoniste se plaît à laisser la parole à ces jeunes gens, à leur concéder de l’espace tout en proposant un cadre. Voici la philosophie de Collectiv. Ainsi, lorsque le violoniste Yovan Girard lâche son archet pour le micro (« Give The Floor »), c’est tout le Collectiv qui s’adapte, et mute en un instant en groove de haute couture. Deux constats sur les morceaux où Girard se prend à rapper : d’abord, il est très bon à cet exercice, qui dénote de nombreuses heures d’écoute et un goût développé pour les productions Ninja Tune. Ensuite, le grand format concocté par Tortiller est vraiment tout terrain et ne peine sur aucun obstacle. Comme lorsque son ONJ avait sorti le mémorable Close to Heaven, le vibraphoniste démontre qu’il est un iconoclaste qui aime repousser les limites d’un certain classicisme. Un album élégant, à son image.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 décembre 2018
P.-S. :

Franck Tortiller (vib), Rémy Béesau, Joël Chausse (tp), Abel Jednak, Pierre Bernier, Maxime Berton (saxes), Tom Caudelle (eup), Pierre-Antoine Chaffangeon (cla), Pierre Elgrishi (b), Yovan Girard (vln, voc), Léo Pellet (tb), Vincent Tortiller (dms)