
Brötzmann, Edwards, Adasiewicz, Noble
The Quartet
Peter Brötzmann (as), Jason Adasiewicz (vib), John Edwards (b), Steve Noble (d)
Label / Distribution : Otoroku
C’est à un sacré morceau d’histoire que le label OTOroku nous propose d’assister. Les 10 et 11 février 2023 avait lieu au Café OTO de Londres, qui sort donc le disque sur son label, un concert qui ne se fera plus ; non que Steve Noble et John Edwards, paire rythmique dont ce lieu de concert est la seconde demeure, n’y joueront plus. Pour ça, il faudrait d’autres séismes. Mais le 22 juin 2023, Peter Brötzmann, l’arbre centenaire du free jazz mondial, cessait le feu. Voici donc son dernier concert. Il y a, naturellement, une émotion à écouter The Quartet, même si la luxuriance discographique du multianchiste allemand maintient son cri dans l’actualité. Mais avec son entourage de luxe, aux côtés de son compère de longue date le vibraphoniste de Chicago Jason Adasiewicz, il y a dans ce double concert de vrais moments de douceur, loin de l’urgence. C’est indubitable dans le « Night 1, Set 1 », où le vibraphone prend la tête d’une longue oscillation rythmique, profonde et tellurique. Une atmosphère étrangement coltranienne.
L’urgence peut attendre, le quartet prend son temps. La musique est puissante, dense, le son de Brötzmann est rugueux et fédérateur. Il joue à merveille avec la basse lourde de John Edwards. La crue monte et s’étale, sûre de sa force, sans plus rien à prouver ou à revendiquer dans le domaine de la colère. Elle est là, omnisciente, et viendra quand il sera temps. Il y a beaucoup de complicité dans ce quartet qui avait déjà joué à Londres dix ans plus tôt, et le quartet parle un langage commun, Transatlantique en diable et d’une fluidité sans égale. Dans « Night 1, Set 2 », on goûte le plaisir de Brötzmann de faire jouer ses compagnons, de passer le flambeau dans une musique très construite, loin de l’image des châteaux de cartes où il avait tôt fait d’être mis sous clé.
C’est la seconde nuit que le temps presse. « Night 2, Set 1 » a le goût du combat, et Steve Noble est à sa pointe. La machine-gun Brötzmann en profite pour accélérer, suivi comme son ombre par Adasiewicz. Cette lutte est intérieure et les affrontements ne se font pas entre les solistes. The Quartet avance de front, debout, se faisant une joie de canaliser toute cette énergie dans un flux qui ressemble à une forme de spiritualité free d’une grande sagesse. On ne pouvait envisager meilleure sortie.