Chronique

Orchestre Franck Tortiller

Back To Heaven - Led Zeppelin / Chapter Two

Franck Tortiller (vib, arr), Patrice Héral (dms, voc, élec), Olga Amelchenko (sax), Gabrielle Rachel (tb), Maxime Berton (sax), Joël Chausse (tp, bugle), Vincent Tortiller (dms), Jérôme Arrighi (elb), Matthieu Vial-Collet (g, voc).

Label / Distribution : MCO

On ne prend pas les mêmes, mais on recommence ! Et tout d’abord parce que Franck Tortiller aime la musique de Led Zeppelin, un point c’est tout : « L’univers musical de Led Zeppelin est pour moi quelque chose d’unique. C’est un pont entre musique pop, rock, et des musiques plus sophistiquées telles que le jazz, le free jazz, le rhythm‘n’ blues etc. C’est aussi une musique qui groove, qui swingue. Et puis et surtout, c’est parce que j’aime ça ! » [1]

Plus de quinze ans après un Close To Heaven enregistré avec l’Orchestre National de Jazz, le vibraphoniste remet le couvert, entouré cette fois d’une bande de musiciens, trentenaires pour la plupart. Un gage de liberté : « C’est intéressant de voir comment ces jeunes femmes et ces jeunes hommes abordent cette musique. C’est à la fois une découverte et une porte ouverte sur la liberté. Je laisse beaucoup de place à cela. Je n’aime pas être trop directif, la musique doit exister avec les musiciens ! ».

D’autres musiciens donc (seul Patrice Héral étant deux fois de la partie), le choix de nouvelles compositions (à l’exception de « Dazed And Confused » proposé dans une nouvelle version) [2] puisées dans sept des neuf albums studio (publiés entre 1969 et 1979) du groupe emmené par Jimmy Page qui fit une forte impression sur celui qui était alors adolescent : « Je crois que le premier titre que j’ai écouté est « Stairway To Heaven », comme des millions de gens de mon âge je pense. Puis j’ai écouté l’album et une chose m’a marqué : le son de batterie de John Bonham. Je n’avais jamais entendu ça. Un son énorme, mais surtout un jeu de cymbales fantastique. Peu importe que ce soit du rock, de la pop, ou autre, c’était simplement quelque chose d’inouï ».

Suivant ainsi une fois encore le chemin d’appropriation de mélodies populaires emprunté par tant de musiciens de jazz, Franck Tortiller s’engouffre dans la brèche zeppelinienne et laisse éclater sa joie à la tête de son « mini big band » au sein duquel on soulignera la présence de deux musiciennes : Olga Amelchenko au saxophone et Gabrielle Rachel au trombone : « Olga a rencontré Patrice Héral à Berlin et c’est Maxime Berton qui me l’a présentée. J’ai tout de suite été happé par le son de son saxophone alto, son langage musical et son implication dans la musique. Elle fait un solo incroyable dans « Dazed And Confused » ! La rencontre avec Gabrielle a aussi été très évidente pour moi. Je cherchais une sonorité de trombone comme la sienne, à la fois douce et forte. Elle fait le lien parfait entre la première trompette et le saxophone ténor ».

Le clin d’œil entre les deux albums est appuyé néanmoins, ne serait-ce que par leur titre : Back To Heaven fait suite à Close To Heaven. Une histoire de paradis qui n’est pas seulement connectée à la composition la plus célèbre de Led Zeppelin, mais qui traduit tout le bonheur d’une explosion collective de sons et de couleurs, transcendée çà et là par la détermination et la fougue des interventions en solo, des incursions aux accents hip hop (le scat-scratch parfait de Patrice Héral dès l’ouverture du disque avec « Achilles Last Stand » et plus loin sur « The Crunge ») ou le chant presque romantique de Matthieu Vial-Collet sur « Going To California ». Et c’est peu dire qu’une joie arc-en-ciel traverse le disque de part en part. Tout comme il y a quinze ans, au-delà du renouvellement des musiciens : « L’orchestre n’est plus le même, les sons ont changé et ma façon d’écrire la musique a aussi évolué bien sûr. Je pourrais dire que cet opus est plus écrit, la place des cuivres est plus centrale, et j’ai aussi travaillé les formes et les intentions musicales. Mais ce qui n’a pas changé et qui ne changera jamais, c’est ma joie et mon plaisir de jouer ces mélodies, ces riffs, ces chansons qui ont jalonné ma vie musicale ».

Porté par cet enthousiasme fédérateur, Franck Tortiller – dont la brillance du jeu est un plaisir constant – surfe avec beaucoup d’aisance et d’élégance sur un répertoire ici parfois transformé au point d’être méconnaissable (« Dazed And Confused » ou « The Battle Of Evermore » pour citer deux exemples), mais dont toutes les molécules ont été préservées. Car mélodie et énergie, les deux mamelles de Led Zeppelin, sont bien au rendez-vous de Back To Heaven. Rendez-vous en 2037 pour la suite ? On pourra même suggérer un titre à cette joyeuse bande : Still In Heaven !

par Denis Desassis // Publié le 20 mars 2022
P.-S. :

[1Propos de Franck Tortiller recueillis pour Citizen Jazz au mois de février.

[2Sans oublier « Moby And Moby », présent sur les deux disques. Cette courte composition signée Franck Tortiller est un petit clin d’œil à « Moby Dick », qu’on peut écouter sur le deuxième album de Led Zeppelin.