Portrait

Pascal Charrier, les racines de l’Arbre

Portrait du guitariste à l’occasion d’une rencontre à Avignon.


Photo © Laurent Poiget

Le parcours de Pascal Charrier n’est pas linéaire. Une enfance à la campagne, connectée à la nature, la découverte très jeune du travail et de certaines réalités sociales ont nourri un mode de création artistique qui part toujours du corps et fait naître les idées, les concepts, voire les revendications.

Pascal Charrier a toujours vécu en milieu rural et revendique un mode de vie hybride entre une vie urbaine liée à la musique et une vie proche de la terre et du monde paysan. « Mon histoire avec la musique a débuté par mon père qui était guitariste classique et qui a monté une école de musique. Il jouait trois heures par jour, le soir, et j’assimilais les œuvres, je prenais…. Ça a infusé, alors que moi, je voulais tout, sauf faire de la musique ! C’est finalement venu par le rock. Je sortais beaucoup, j’allais aux concerts, et puis j’ai hérité d’une guitare inaccordable et j’ai commencé à faire du son avec cet instrument improbable. J’ai découvert le Jazz au cours de mes études musicales à l’IMFP : je suis tombé sur la musique de Coltrane avec les albums A Love Supreme et Ole que j’écoutais en boucle et dans lesquels je ressentais la même énergie que dans les live d’Hendrix (Live à l’île de Wight et Filmore East Festvival). »

Pascal Charrier © Christophe Charpenel

Dans ses jeunes années, il travaille comme ouvrier agricole et manœuvre de maçonnerie pour financer ses études, et découvre les conditions de vie d’ouvriers immigrés parfois loin de leurs familles. « Notre société ne décolonise jamais : on exploite, on asservit, on détruit les choses de l’intérieur. Par la musique, j’ai toujours essayé de rendre hommage à ces personnes rencontrées au cours de mon parcours de vie ou à des personnes qui se sont illustrées à l’occasion de luttes révolutionnaires »
Avec son dernier album WORKERS - Une musique Populaire du Kami Octet, il a souhaité rendre hommage à celles et ceux qui, «  hier comme aujourd’hui, ont et ont eu le courage de se dresser contre l’oppression perpétrée par les maîtres »

« J’ai emprunté cette citation de Duke Ellington à Alexandre Pierrepont car celle-ci traduit parfaitement ce pourquoi j’aime tant ce lieu de la création qu’est le Jazz :

Duke Ellington disait en 1947 : Pour moi, le jazz signifie simplement liberté d’expression musicale, et c’est précisément grâce à cette liberté que tant de formes différentes de jazz existent, et cependant ce dont il faut impérativement se souvenir, c’est qu’aucune de ses formes, par elle-même, ne représente le jazz. Le jazz signifie simplement la liberté de prendre de multiples formes.

Selon moi, cette expression libre ne doit jamais s’éloigner de la rue, de la vie des gens, du bruit du monde. »

Comme d’autres musiciens de jazz, Pascal Charrier parle volontiers de blues pour qualifier sa musique : « Ma musique, c’est le blues, c’est celle que je joue chez moi, avec mon café, je n’en trouve pas de plus belle. C’est d’elle que tout part. Mon blues de paysan mixé avec une culture du nord de la Méditerranée, c’est dans le contexte de mon solo Petite Montagne et dans Shan (trio avec Julien Pontvianne et Ariel Tessier) que je le joue. Une musique simple, directement inspirée de l’univers de la montagne, des bergers des relations entre les humains et les forces de la nature. »

A l’Arbre, on privilégie d’abord une expérience qui passe par les sensations que procurent le son pour aller vers la composition collective d’un répertoire.


Le rapport à l’espace, au timbre, à l’écoute, Pascal Charrier l’a développé enfant dans son environnement pastoral, montagneux. « L’écoute des fréquences basses à l’intérieur du corps, selon la nature du sol, tous ces rapports de timbres, de qualité de son, de nature d’espace, je les retrouve dans la musique contemporaine. En écrivant pour un orchestre ou en travaillant sur un dispositif d’émission du son, j’aime me préoccuper de la manière dont le son agit à l’intérieur d’un volume d’air, la façon dont il entoure les gens. Je retranscris des sensations de corps que j’ai vécues enfant, je vais à la recherche de ces impressions-là pour essayer de les traduire en langage technique, régler une réverb, écrire une musique, chercher un intervalle qui ouvre ou qui ferme. Ce sont des rapports que l’on a vraiment dans le déplacement du corps dans la nature. J’ai créé le festival du « Son des Pierres » pour inviter le public à découvrir des œuvres dans des lieux spécifiques de résonance et de nature d’espace et de timbre afin de partager cette perception sensible du son. »

Dans le dernier album du Kami Octet, le musicien essaie de retranscrire dans un vocabulaire plus commun tout ce langage sur le timbre, la transe. « Le morceau « Le Bal du dimanche » tourne autour de la danse, je pensais aux ouvriers qui se retrouvaient le dimanche, dans les guinguettes. Avec une ligne de basse façon Mingus, j’ai voulu lui rendre hommage. « The Child », ce fut une écriture instinctive. La première ligne était un geste spontané, là encore un langage qui vient du corps. « Strike » raconte la mise en route de la machine du travail, jusqu’à ce qu’elle se détraque. Ma musique est toujours liée à une dramaturgie, un récit. « La Mémoire des vaincus » est un hommage à Michel Ragon, qui a écrit une œuvre romanesque très poétique, du même nom. Je l’ai écrite pour Paul Wacrenier, je l’entendais le jouer. »

La dernière chanson, « l’Espoir », arrive à la fin du processus de composition, qui consiste en une traversée en solitaire. « Je m’enferme une semaine à la montagne tout seul, je jeûne, je travaille, et je concentre mon énergie sur le travail. Et en fin de semaine, je fais un bon gueuleton et un morceau comme « l’Espoir » arrive, spontanément. »

Le rapport à l’expérience physique du son appliquée à l’écriture musicale demeure dans chacune de ses productions, y compris « l’Arbre », cet orchestre participatif basé sur des principes d’éducation populaire qu’il dirige, et qui s’adresse à des publics de tout âge et de tout niveau, entre Avignon et Apt. « À l’Arbre, on privilégie d’abord une expérience qui passe par les sensations que procure le son, pour aller vers la composition collective d’un répertoire. Pour moi, le métier de musicien est un métier d’artisan au service du lien entre les personnes, qui génère du commun, des émotions partagées pour que les gens puissent se rassembler autour. »