Collision Collective en Avignon
Trois collectifs issus de la scène jazz et musiques improvisées se rencontrent.
En déambulant dans les rues de la Cité des Papes ce 10 juillet 2024, je pensais aux concerts auxquels j’allais assister le soir, j’avais hâte de découvrir ces petites formes, émanations de collectifs dont la présentation sur le papier aiguisait ma curiosité autant que mes questionnements. Quel sens cela avait-il de proposer 3 concerts à l’Ajmi en plein festival d’Avignon, fussent-ils gratuits : le public répondrait-il présent ?
La réponse est simple : ce premier temps fort du dispositif Collision Collective fut positif avec un partenariat de qualité, une fréquentation honorable, et devrait permettre de pérenniser l’évènement.
- Devant l’Hôtel de ville d’Avignon
Il est midi, je cherche le spectacle du Off que j’ai prévu de voir cet après-midi. Les ruelles piétonnes sont bondées mais l’ambiance est détendue, le soleil tape dur, la lumière est forte et contrastée. Je croise des comédien.ne.s en tenue de scène distribuant les flyers de leurs spectacles, les grilles de l’Aumône Générale rue des Lices sont couvertes d’une constellation d’affiches (1600 spectacles sur le Off, c’est une institution autant que le In hyper médiatisé). J’assiste à la représentation de la troupe de mes amis français et chinois rencontrés quelques années plus tôt à Canton. I.e.lles sont venu.e.s spécialement d’Asie et jouent La Station Chambaudet d’Eugène Labiche, une réécriture mêlant librement jazz mainstream et opéra chinois.
- Shan : Sigfrid Aftret, Ariel Tessier, Pascal Charrier pendant les balances
En soirée à l’AJMI le trio Shan (« la montagne » en mandarin - les coïncidences !) ouvre la soirée. Pascal Charrier (guitare) du collectif Naï Nô Productions joue avec Ariel Tessier (batterie) et la saxophoniste norvégienne Sigfrid Aftret (en remplacement de Julien Pontvianne). Le guitariste lance la première pièce sur un accord répété à l’unisson, légèrement dissonant. Le mode d’accordage singulier et le rythme en boucle créent un climat propice au cheminement intérieur et à l’improvisation spontanée. La Scandinave se joint au guitariste, bruitisme, jeu d’anche et souffle rauque, naissance du son. Le batteur arrive progressivement et du chaos naît la transe. C’est envoutant et brûlant. Dans la seconde improvisation Pascal Charrier ajoute sa voix dans un passage plus calme, la transe n’en est que plus organique. La force de ce trio réside dans le travail du son comme matière sur leurs instruments acoustiques.
- Alexandre Herer
En deuxième partie le pianiste Alexandre Herer invite Adèle Viret (violoncelle) et Rishab Prasanna (bansurî). Après la transe du premier set, ce trio - émanation du collectif Onze Heures Onze - improvise sur les nappes planantes du Rhodes modulées par les effets du pianiste. La violoncelliste joue le romantisme autant que le bruitisme, le son de son instrument se mariant justement avec celui du bansurî. Le jeu délicat d’Alexandre Herer offre ses sonorités sans dépasser le piano, ouvrant à ses collègues la voie d’une expression libre de rythme et d’harmonie. Même lorsque le flûtiste indien esquisse un râga à la voix, le chemin reste tracé dans l’évanescence : la ligne et le son. Magnétique.
C’est le groupe Tigres et Canapés du collectif Pousse-Pousse Productions qui clôt cette soirée. Une proposition sans sommation de jazz moderne teintée de rock-métal à découvrir dans la rue ou sur scène, selon leur présentation. J’ajouterai que les musicien.ne.s portant des vêtements aux motifs tigrés forment une fanfare de poche, mais envoient l’énergie d’un marching band new-orléanais. Les compositions de Léo Jeannet (trompette) et de Gaby Schenke (saxophone ténor) sont astucieusement écrites pour atteindre un large auditoire. Une ligne de basse identifiable, des arrangement brillants et efficaces dans un rythme soutenu (pour ne pas dire effréné) font irrésistiblement revenir sur la planète groove ceux qui, comme moi, seraient restés dans les limbes. Festif et joyeux. Avec également Valentin Meylan, trompette, Gregory Julliard, soubassophone, Nicolas Serret, batterie.
A noter pour les trois sets la qualité du son de Nicolas Baillard qui œuvre également au studio de La Buissonne.
Collision Collective est une initiative de diffusion inter-collectifs créée en 2023 par une quinzaine de collectifs français de jazz et de musiques improvisées et par Grands Formats, la fédération des grands ensembles et collectifs de jazz et de musiques improvisées. Tentant d’apporter une réponse à la crise de la diffusion qui frappe le secteur indépendant du jazz et des musiques improvisées, elle prend la suite d’une première expérience du même nom, menée par quelques-uns de ces collectifs entre 2015 et 2017.
Chaque collectif a choisi de mettre en lumière un de ses projets musicaux, pour une respiration jazz unique en son genre en plein Festival d’Avignon.