
Peter Danemo et les vents suédois
Le batteur de Stockholm s’implique dans de multiples projets, deux disques récents témoignent de son activité.
Figures de proue du jazz suédois, Arne Domnérus, Lars Gullin, Enar Jonsson furent célébrés bien au-delà de leur pays. Ils précédèrent une nouvelle génération incarnée par une kyrielle de musicien·nes dont font partie Bobo Stenson, Nils Landgren, Jonas Knutsson, Mats Gustafsson, Örjan Hultén, Lina Nyberg et Peter Danemo. Ce batteur est né en 1961 à Umeå et s’est installé à Stockholm. Son quartet - composé notamment du pianiste Esbjörn Svensson - l’a rapidement consacré comme un compositeur raffiné en plus d’être un batteur imaginatif. Il incorpore à son groupe Meloscope des instrumentistes issus du jazz et de la musique classique. Il a déjà uni son jeu de batterie avec des contrebassistes d’exception, Niels-Henning Ørstedt-Pedersen, Miroslav Vitous, Palle Danielsson. Deux albums publiés par Resonansium Records témoignent de son hétérogénéité.
Compositeur en résidence en 2015, Peter Danemo s’était consacré pleinement au Norrbotten Big Band. Il signe quatre pièces dans ce disque enregistré en concert au Jazz Club Fasching en novembre 2016 et laisse sa place de batteur à Konrad Agnas afin de diriger cet orchestre. Deux longues compositions définissent parfaitement son écriture empreinte de fluidité et d’un foisonnement de superpositions instrumentales.
« Ember » est traversé par des échos de l’album-concept Aura de Miles Davis avec les sonorités de la trompette de Dan Johansson qui prend son envol sur un tapis d’effets électroniques. La technicité et les modes de jeu du tromboniste Peter Dahlgren et du saxophoniste Håkan Broström apportent une tonicité à la composition qui s’étire avec une variété de nappes soniques. La justesse rythmique s’impose dans « Resonansium », le développement du thème suggère le potentiel de renouvellement de l’orchestre et les éclats de cuivres successifs offrent un tremplin pour le flûtiste Mats Garberg. Les improvisations successives témoignent d’une inspiration constante, la partie de piano flamboyante d’Adam Forkelid précède l’envolée lyrique de Jacek Onuszkiewicz à la trompette. La substance harmonique déployée par le big band se révèle palpitante.
La pandémie avait stoppé net l’aventure de Gläntan commissionné par le Swedish National Radio P2 et cet ensemble n’avait alors pu donner que deux concerts. Peter Danemo a relancé ce nonette, un format qu’il considère comme idéal. L’originalité de ce nouvel album est d’avoir été enregistré en direct dans une seule pièce, les musicien·nes étant assis les un·es à côté des autres, sans l’adjonction de casque, ni de moniteur et d’amplificateur.
Le poète suédois, Prix Nobel de littérature en 2011, Tomas Tranströmer a inspiré cette formation par son poème Gläntan (la clairière). La beauté de ce texte trouve un écho dans les cinq compositions toutes signées par Peter Danemo. L’intimité qui prévaut dans « String Thing » fait ressurgir des timbres délicieux, les cordes de Victoria Stjerna et de Jessie Langhard s’unissent aux souffles de Kajsa Zabzine et Astrid Le Clercq. Le jeu pianistique de Britta Virves se fond commodément dans la contrebasse de Christian Spering et la batterie du leader. La musique demeure exigeante, une part de néo-classicisme sert de tremplin à l’intervention feutrée du saxophoniste Joakim Milder dans « The Thing » et l’on retrouve sa vigueur communicative déployée au soprano dans « The Twelve ». La délicatesse qu’installe Magdalena Meitzner dans « Darkness » apporte une nuance subtile à cette pièce qui clôt spirituellement le disque.
Il est bon de rappeler que Don Cherry a vécu vingt ans en Suède, ses expérimentations se manifestent de manière sous-jacente chez de nombreux musiciens locaux. Tout comme le trompettiste et orchestrateur américain, Peter Danemo privilégie l’économie de moyens dans ses compositions. Ses conceptions musicales illustrées dans ces deux albums témoignent de son authentique profondeur d’âme, bercée par le souffle intemporel des forêts suédoises.