Chronique

Philippe Gleizes - Antoine Viard

Immersion

Philippe Gleizes (dms), Antoine Viard (sax).

Label / Distribution : Coax Records

Les albums consacrés au duo saxophone-batterie ne sont pas si nombreux. En ce domaine, impossible de ne pas évoquer le duo fondateur composé de John Coltrane et Rashied Ali avec leur session du 22 février 1967, publiée en 1974 sous le titre de Interstellar Space. Dans l’histoire du jazz, on pourra repérer l’album Red and Black in Willisau de Dewey Redman et Ed Blackwell (1985) ; Nomads, par Dave Liebman et Michael Stephans (2009). Sans oublier Which Way Is East par Charles Lloyd et Billy Higgins en 2001. Plus près de chez nous, mentionnons Linkage par Éric Barret et Simon Goubert (2004). Ou bien encore Soul Paintin’ de Boris Blanchet et Daniel Jeand’heur (2010). Récemment, les Anglais Binker & Moses s’y sont collés avec Feeding The Machine (2022). C’est dire que la publication d’Immersion sur le label Coax Records par Philippe Gleizes et Antoine Viard a de quoi susciter l’intérêt. Et le ravissement, à l’écoute d’une traversée ébouriffante qui fait beaucoup de bien en ces temps où la sphère du jazz semble parfois s’écarter d’une nécessaire folie ordinaire.

On sait la démesure de Philippe Gleizes, qu’on a pu écouter longtemps au sein du Jus de Bocse de Médéric Collignon, et qui opère dans le Tigre d’Eau Douce de Laurent Bardainne. On le retrouve à la manœuvre d’un méchant Band of Dogs (plus coriace que Snarky Puppy) en compagnie du bassiste Jean-Philippe Morel et d’une pléiade d’invités (trois disques sont parus sur le label du Triton). Son partenaire Antoine Viard, membre du collectif Coax, est lui-même un baroudeur des expériences musicales et vient de sortir un album solo intitulé Tumulus.

Avec Immersion, on tient sans doute l’une des épreuves de force les plus accomplies de la formule saxophone - batterie, ne serait-ce qu’en raison de l’implication physique des deux musiciens, jamais pris en défaut d’engagement. On pouvait redouter l’aridité du propos en l’absence de tout instrument harmonique. Ou encore la redite, eu égard aux prestigieuses références citées plus haut. Bien au contraire, Antoine Viard et Philippe Gleizes tiennent la dragée haute à leurs prédécesseurs et semblent avoir mis leur imagination sans limites au service d’une quête éperdue. Ils mobilisent leur créativité pour mieux restituer la dimension orchestrale d’un dialogue qui ne sombre jamais dans le bavardage. Ils multiplient les couleurs, les climats, leur musique se fait lumière ou ombre, chant ou cri, joie ou douleur. Chez eux, c’est l’urgence qui commande, le repos n’est pas de mise. Immergeons-nous avec eux !

par Denis Desassis // Publié le 4 juin 2023
P.-S. :