Thomas Delor
The Swaggerer
Thomas Delor (dms, comp), Simon Martineau (g), Georges Correia (b).
Label / Distribution : Fresh Sound Records
Thomas Delor n’est pas un musicien comme les autres. C’est à l’âge de huit ans que ses parents l’ont installé derrière sa première batterie, histoire de lui fournir la matière première d’un défoulement à distance contre un instituteur que l’enfant jugeait trop pénible. Un exutoire percussif qui aura des effets à long terme chez le Niçois autodidacte. Ce trentenaire n’est lui-même pas un être ordinaire, qui décida un beau jour de faire valser par-dessus bord sa carrière d’enseignant en mathématiques pour se consacrer pleinement à la musique. C’était il y a quelques années seulement… Peu de temps avant la constitution de son trio en 2015, une formation soudée par l’amitié et la double vibration des cordes : Simon Martineau à la guitare électrique, pour la beauté du geste et du son ; Georges Correia à la contrebasse, pour la précision rythmique, la plus sûre alliée du batteur.
Une formule triangulaire que le batteur explore par ailleurs, avec beaucoup d’intériorité, aux côtés du pianiste Matthieu Roffé et du contrebassiste Damien Varaillon dans le Chamber Metropolitan Trio. Mais quelle que soit la formation, Thomas Delor considère son instrument au-delà de ses qualités intrinsèques. Gardien du tempo, ce serait trop simple, parce qu’on ne bouscule pas une vie entière avec pour seule ambition le désir de se glisser dans les pas de ses pairs. Il faut penser autrement, se souvenir que la batterie n’a fait que balbutier ses premiers mots après un siècle d’existence. On peut être amoureux du rythme, pourvoyeur de groove et ne pas souhaiter pour autant en rester là. Commence alors une quête pour comprendre à quel point un instrument aussi charnel, qui engage le musicien dans un corps à corps, peut être source de mélodie et de recherche sonore. La batterie comme un terrain de jeu où tout resterait à explorer.
The Swaggerer – en anglais, « le fanfaron » – se présente en effet comme une aire de jeu(x) où se croisent des histoires de vie. Tout commence par un rêve de gamin et une conversation savoureuse entre la batterie et… une machine à écrire (« Prélude en si majeur »). Les influences majeures de Thomas Delor nourrissent ce disque porté par la connivence entre des musiciens qui démontrent au passage ce que signifie l’art de la conversation. Influences du jazz, forcément, à commencer par Monk (« Rhythm-a-Ning ») dont le répertoire est à lui seul un défi pour les musiciens. Sans oublier Miles (« Blue in Green »), sans doute le plus grand passeur de la musique au XXe siècle. Le répertoire classique n’est pas oublié : quoi de plus normal pour celui qui eut l’occasion d’officier comme percussionniste dans un orchestre symphonique ? Avec « Moonlight », Thomas Delor convoque Beethoven et sa « Sonate au clair de lune » avant de revisiter la « Symphonie du Nouveau Monde » de Dvorák (« From the New World »), relevée in fine d’un zeste de John Williams.
La vie, oui. Avec le blues qui parcourt « Hidden Meaning » et « The Swaggerer », deux des cinq compositions originales de l’album. Ou encore « L.N.A. », une ballade qui dit la naissance d’un amour. C’est aussi une conclusion haletante au titre espiègle en forme de sourire, comme une marque d’optimisme, intitulée « Tu l’as vu, Monk ? ».
Avec The Swaggerer, Thomas Delor affirme ses qualités de coloriste. C’est là un mot certes souvent galvaudé, mais qui cerne bien la personnalité de ce jeune musicien curieux d’aller voir ailleurs s’il ne s’y trouve pas déjà. À l’image de son jeu, d’une grande beauté formelle parfaitement restituée par une prise de son sans faute. Le batteur est un esthète, qui sait réserver par la multiplication des timbres, des nuances et des formes une surprise de chaque instant. C’est là tout le charme de l’inattendu et son corollaire d’incertitude, qui définissent sans doute le mieux le mot jazz.