Chronique

Quinsin Nachoff

Horizons Ensemble

Quinsin Nachoff (ts, ss) - John Taylor (p) - Ernst Reijseger (cello) - Nathalie Bonin (v) - Parmela Attariwala (v)

Label / Distribution : Autoproduction

Saxophoniste canadien partageant sa vie entre Toronto et New York, Quinsin Nachoff, qui présente ici son troisième album en tant que leader, est aussi embarqué à bord d’aventures intercontinentales comme le « Tocanne-Nachoff Project », en compagnie du batteur Bruno Tocanne. (Si vous avez aimé les mélodies insolites, les ruptures de « Duality » et « Monarch and the Viceroy » sur Five New Dreams, vous devriez adorer Horizons Ensemble).

L’instrumentation est singulière : un saxophone (ténor ou soprano selon les plages), un piano, deux violons, un violoncelle. Ne vous y trompez pas : le recours aux cordes n’est pas chez Nachoff l’indice de sirupeux délayages ou de lourdeurs pâtissières. Bien au contraire, les trois frotteurs de cordes sont ici des protagonistes à part entière. Quinsin sait s’entourer. Ernst Reijseger au violoncelle (qui signe quelques chorus ébouriffants, notamment à la fin de « Cartoon-Scape ») et, aux violons, deux de ses compatriotes du genre novateur : Parmela Attariwala, et Nathalie Bonin qui jouait déjà sur Magic Numbers (2006).

Dans « Bogardus Place » les cordes dessinent un réseau de polyphonies à la fois tranchantes et ondulantes autour d’un saxophone soprano résolu à concurrencer les meilleurs rossignols. Sur « Desert Landscape » elles se chargent de la mélodie à égalité avec le sax ténor ; « Cartoon-scape » leur réserve une généreuse part de dérision et d’improvisation… L’écriture de leurs parties s’apparente d’ailleurs souvent à celle d’un ensemble de saxophones mais leur timbre acéré apporte aux compositions de Quinsin Nachoff des nuances acidulées qui lui vont très bien au teint.

Quant au piano, il revient à John Taylor. Lui-même. Le compagnon de route de Kenny Wheeler et John Surman, entre autres. Dans un rôle de correcteur d’acidité (la sonorité assez mate de son instrument tempère les aigus des cordes et du soprano) et d’agent de texture (ses ostinatos assurent la cohésion harmonique de l’ensemble), mais pas seulement : ingrédient maître de l’alchimie timbrale, improvisateur brillant et dialoguiste, si l’on peut dire, tant ses conversations avec les violons, le saxophone et, surtout, le violoncelle sont riches et débridées.

Vous aurez compris, aux premiers titres cités, que M. Nachoff est amateur de paysages. Horizons, déserts, rivière, lac glaciaire, cieux africains… Rien pourtant de pittoresque ni d’anecdotique, plutôt des invitations à partager les univers du compositeur. Les six morceaux de l’album présentent une structure serrée, savante, sans vanité aucune mais faisant preuve d’un souci de la forme qui révèle l’intérêt de leur auteur pour la musique de chambre, notamment contemporaine. Les influences sont multiples et revendiquées : Ellington, Abdullah Ibrahim, Joe Lovano pour le jazz ; mais ceux que l’on croise à tous les coins de mesure, ce sont surtout Satie (notamment dans le malicieux « Cartoon-Scape »), Debussy (la dernière minute de « A River Remembers Rain »), Bartok et Ravel, dont on distingue clairement des citations plus ou moins longues, comme cette miette de « Pantoum » dans « Desert Landscape », ces bribes de Mikrokosmos éparpillées un peu partout. On surprend même un bout de Borodine dans « Bogardus Place »…

Mais, par-dessus tout, il y a dans cet album une voix extrêmement personnelle, celle de Quinsin Nachoff, avec son aversion radicale pour les phrases conclusives, son goût des modulations inattendues, des fausses pistes harmoniques et des contre-pieds rythmiques. Une voix qui le distingue de ses congénères et l’affirme comme un compositeur avec lequel il faut compter.