Chronique

Quinte & Sens

Copeaux

Claude Whipple (g), Olivier Py (sax), Xavier Bornens (tp), François Fuchs (b), Aidje Tafial (dms), Matthias Mahler (tb 3, 10), Adrien Amey (sax 2, 5, 6, 9)

Label / Distribution : MadRecordz

Quinte & sens… un nom organique délicieusement équivoque, un joli jeu de mot qui définit bien le raffinement de cette musique résolument contemporaine et singulière, sans chemins ni frontières. Remarquée il y a sept ans avec Karibu, la formation du guitariste Claude Whipple revient avec une proposition d’envergure, mélange réussi de disciplines artistiques, entre jazz maraudeur et art brut, entre création plastique et virulences rock en liberté.

Car Copeaux n’est pas seulement une œuvre tellurique où chacun des musiciens semble chercher le point de fusion quelque part entre le groove d’un funk transfiguré et fiévreux, les arômes de klezmer fantasmé ou l’influence caustique des virulences zappaiennes, le tout tanné par la puissance et l’éloquence des saxophones d’Olivier Py. C’est aussi un objet métallique de 350 grammes qui en dit long sur le vœu de Whipple : ne pas détacher sa musique d’un projet plus global qui confère à ces onze morceaux une dimension physique et travaille le son comme une matière, avec le soin et l’attachement de l’ouvrier fier de son outil, de son ouvrage et de sa condition. [1]

Enregistré à la menuiserie Copeaux, le disque ressemble à cet ancien atelier (qui ouvre ses portes depuis longtemps aux musiciens et plasticiens) par ce côté manufacturé, unique, mais aussi par sa musique très ouvragée, d’une puissance irrévérencieuse, qui rappelle beaucoup la démarche du Surnatural Orchestra avec son Homme sans tête. Ainsi, dès les premières notes, la trompette lumineuse de Xavier Bornens ouvre élégamment un album où les dialogues entre musiciens servent une écriture précise et corrosive, portée notamment par une base foisonnante et musclée : le contrebassiste François Fuchs et le batteur Aidje Tafial. Ce dernier embrase l’album de son sens des rythmiques cascadeuses et nomades. Sa connivence avec Whipple sur le très beau « Cléopâtre », véritable point névralgique de l’album, est tout à fait remarquable.

Entre ambiance de rue ajoutant à l’âme de l’objet (« Copeaux ») et force collective illustrée par les constructions complexes et luxuriantes (« Dans la boue jusqu’au cou »), Quinte & sens joue une musique galvanisée par un concept consistant, toujours à cheval entre charnel et matériel. Cet esprit de corps gagne les deux invités, le tromboniste Matthias Mahler et le saxophoniste Adrien Amey. Cette expression collective débordante d’énergie et de savoir-faire prend toute son ampleur dans « La nuit du miroir », où la parole individuelle libérée devient matériau brut, comme travaillée en profondeur par la lourde basse de Fuchs et le talent des soufflants. C’est cet attachement à l’outil et à l’œuvre qui fait que Copeaux ne tombe pas dans le factuel anecdotique du bel objet. Une initiative qu’il convient de soutenir.

par Franpi Barriaux // Publié le 29 mars 2010

[1Le disque Copeaux est enchâssé dans deux plaques d’acier brut jointes par un écrou et, outre des photos des musiciens, contient une œuvre originale de 17x17cm, peinture et encre de chine, numérotée, qui s’intègre sur le site de Copeaux (disque en vente), à une fresque collective des 1024 exemplaires réunis.