Chronique

Raphaël Saint-Rémy

Voltes

Raphaël Saint-Rémy (p)

Label / Distribution : Auto Productions

Tout commence dans l’infiniment petit avec Raphaël Saint-Rémy. Révélé avec Raymond Boni dans les Clameurs, c’est avec son étonnant livre-disque Des espèces en voie d’apparition qu’il avait fait montre de ce goût pour l’unicellulaire et le vivant microscopique. Dans Voltes, son premier album solo au piano, lui qui touche d’autres instruments, c’est cette même direction que semble prendre « Blue Monk ». Le morceau cherche sa route dans les espaces les plus lointains de la main droite, dans de minuscules éboulis de notes chétives avant de prendre du coffre et du corps dans les tunnels souterrains de la main gauche. Saint-Rémy agrippe Monk avec ténacité, mais sans rudesse, à peine de rares ruades quand les phrases musicales se brisent à force d’insister.

Il y a effectivement quelque chose de vivant dans les deux morceaux de Thelonious Monk que nous propose le pianiste. Mais c’est sans doute dans le claudiquant « Ugly Beauty » que se révèle toute cette poésie cachée et furtive. La caresse du silence, qui s’efface pour laisser passer des bribes concertantes, est une déclaration d’amour sensible. Saint-Rémy cherche dans Monk une poésie essentielle et abrupte dans le moindre recoin, raison pour laquelle le thème s’effiloche avec une lenteur calculée, qui pèse chaque note et peut fuir en avant en un instant. « Volte de la bête effarouchée, de l’ombre autour de l’arbre » dit le poème qui fait office de notes de pochette et sonne comme un manifeste. C’est de cette beauté ombrageuse dont il s’agit.

C’est d’ailleurs tout le thème de « Voltes », le long-morceau titre qui pendant plus d’une demi-heure permet à Saint-Rémy de continuer ses recherches, à la manière d’un entomologiste, tout en ligne brisées et en tranchées subtiles menées par une main gauche crépusculaire mais curieuse, capable de tous les rebondissements et les chemins à rebours. « Je suis un contempleur de tourbillon » dit Giorgio Manganelli dans une citation sur la pochette. C’est le sentiment que l’auditeur partage à la toute fin du morceau, comme si les microparticules agglomérées étaient devenues une force impassible. Une très belle illustration de l’effet papillon. Comme quoi il est toujours question d’insectes…