Chronique

Ray Charles Orchestra

Zurich 1961

Ray Charles (p, voc) + orchestre

Label / Distribution : Montreux Jazz Label

Le Montreux Jazz Label propose avec ses Swiss Radio Days Jazz Series une sérieuse malle aux trésors, pleine de ces grands noms du jazz qui furent quelques uns à illuminer de leur présence sonore les scènes helvétiques à partir des années 50.

Ce fut l’immense – vous excuserez l’abus de superlatifs mais il est des occasions où ils s’imposent – l’immense, donc, Quincy Jones qui eut les honneurs d’ouvrir cette collection avec la réédition d’un concert de son Big Band, à Lausanne en 1960. Le quarante-et-unième volume de la dite collection nous occupe aujourd’hui et il restitue un concert de 1961 à Zurich. C’est de nouveau Quincy Jones qui a écrit une partie des partitions de l’orchestre (l’autre partie étant de la plume d’Ernie Wilkins), mais celui-ci s’efface cette fois au profit d’un autre aimant à superlatifs : Ray Charles.

Entre les deux, une complicité au long cours – Ray Charles et Quincy Jones se sont connus alors qu’ils avaient respectivement 16 et 14 ans, se surnommant entre eux six-neuf (Ray) et sept-zéro (Quincy) – qui fut concrétisée sur disque en 1961 avec le sommet Genius + Soul = Jazz dans l’immédiate foulée duquel ce concert eut lieu.

Dans la foulée mais non pour la promotion : avec le chef d’œuvre sus-cité – superlatif encore, mais tout autant à sa place – la prestation zurichoise ne présente qu’un seul titre en commun, « I’ve Got News for You » tout chaud servi dans ses somptueux arrangements Jonesiens.
Pour le reste quelques tubes (« Hit The Road Jack », la reprise du « Georgia On My Mind » de Hoagy Carmichael) et, surtout, une alternance de chansons soul et de thèmes dans le plus pur style big band, sans intervention vocale de la star.

La science de l’orchestre de Quincy Jones (ou de Ernie Wilkins), toute pointue qu’elle soit, ne fait pas ici dans l’esbroufe. La puissance est préférée aux excès de raffinements dilatoires ; c’est sans fioriture, plus basien qu’ellingtonien en somme. On peut aimer l’un et l’autre mais cette manière sied davantage à Ray Charles, il faut bien l’admettre.
Un parti pris qui n’exclut pas les escapades. Par exemple, le célèbre « Georgia » devient prétexte à une conversation champêtre et légère entre flûte traversière et piano, avant que l’orchestre ne s’en mêle en conclusion.
Autre effet de l’influence du chef sur son orchestre, les instrumentistes, mis en confiance ou dans les meilleures conditions possibles, frôlent par endroits les plus grands.
Don Wilkerson sur « Come Rain Or Come Shine », encouragé par la voix de Ray Charles, rivalise avec les meilleurs moments de Dexter Gordon. Ou encore Leroy Cooper, suave comme un Pepper Adams des sommets sur le morceau « Ghana ».

Cette facture instrumentale poussée aura de quoi perturber ceux qui ne connaissent Ray Charles que pour sa longue série de tubes. Il faut attendre le troisième morceau pour que le chant s’entende.
Enfin, un chant qui se comprend comme un espace où l’affrontement – un chant de bataille, en somme – voisine avec la prière et le cri d’amour à forte charge érotique.
Les numéros d’émulation, de rivalité et de séduction mêlées entre Ray Charles et ses choristes Raelettes sont l’occasion de sévères montées en température. Mais ces embardées sensuelles sont pétries de religieux, toujours présent dans ce qu’en Amérique on décrit comme le caractère « churchy » propre aux voix soul.
Autre propriété, selon une formule prêtée à Ray Charles lui même : « La soul, c’est comme l’électricité. On ne sait pas vraiment ce que c’est, mais sa force peut éclairer une pièce. » De ce point de vue, ce disque est une centrale plus puissante que cent EPR.

par Aymeric Morillon // Publié le 19 février 2017
P.-S. :

orchestre : Marcus Belgrave (tp) ; Wallace Davenport (tp) ; Phil Guilbeau (tp) ; John Hunt (tp) ; Henderson Chambers (tb) ; Dickie Wells (tb) ; Keg Johnson (tb) ; Rudy Powell (as) ; Hank Crawford (as) ; David “Fathead” Newman (ts, fl) ; Don Wilkerson (ts) ; Leroy Cooper (bs) ; Elbert Forriest (g) ; Edgar Willis (b) ; Bruno Carr (dm) ; Quincy Jones (arr) ; Ernie Wilkins (arr) ; Pat Lyles (voc) ; Margie Hendricks (voc) ; Gwen Berry (voc) Darlene McCrea (voc)