Chronique

Richie Beirach & Dave Liebman

Eternal Voices

Richie Beirach (p), Dave Liebman (ts, ss, fl)

Label / Distribution : Jazzline

Certaines amitiés sont comme celle qui unit Dave Liebman et Richie Beirach, inextinguibles. Tellement fortes qu’elles se satisfont du silence ou d’une économie de mots. A l’occasion des cinquante ans de leur rencontre, le saxophoniste et le pianiste de Quest se sont offert un voyage, à deux. Ni nuit de noces, ni bordée entre potes qui finit sur un trou noir. Non, une simple balade dans une contrée maintes fois visitée, traversée, mais rarement à ce point cartographiée. Eternal Voices est une entrée de plain-pied dans le répertoire classique ; une évidence sans doute, tant le « BWV 936 » de Bach est une douceur qui sied à merveille au timbre soyeux de Liebman et au jeu très délié de Beirach… Mais c’est dans la mécanique de l’improvisation qui en découle qu’on découvre la connivence et la chaleur qui passe entre ces deux artistes.

On s’en doutait pour Mompou, qui est le totem de Richie Beirach ; d’ailleurs, dans la pochette de ce double album, deux compositeurs sont notés, comme des graffitis sur un mur : Mompou et Bartók… Une marotte chacun. Pour le premier, c’est le magnifique « Impresiones Íntimas » qui est utilisé. Beirach y fait traîner sa main droite avec une langueur qui ralentit le thème comme pour mieux lui laisser le temps de pénétrer l’âme. C’est d’ailleurs Liebman qui s’en saisit, le caresse et le laisse virevolter sans jamais chercher à le dompter, lui offrant même une liberté gouailleuse, lorsque le temps s’en fait sentir. Tout le disque est à cette image, libre et simple, sans s’embarrasser de lourdeurs virtuoses. Que dire alors de cette miniature de Schoenberg, « Colors from 5 Pieces for Orchestra » où toute la complexité se résout dans une économie de gestes ?

Pareillement, la relecture de certains mouvements des quatuors à cordes de Bartók, qui constitue le second album, nous laisse subjugués par la fluidité et la douceur de l’échange. Dans les notes de pochette, Beirach explique qu’il tisse un lien entre le compositeur hongrois et Coltrane. C’est à cette lumière qu’il faut lire l’encre sympathique des arrangements de Liebman. Lorsqu’on écoute le parti-pris du piano dans le « lento » du deuxième quatuor, on comprend que c’est dans cet entre-deux, dans cette communication ininterrompue entre les époques et les langages musicaux que le duo veut se situer et se trouve à son aise pour l’éternité. Le temps d’une telle fraternité.