Chronique

Thierry Maillard Big Band

Zappa Forever

Label / Distribution : Ilona Records

« Baltimore, nous avons un problème ! » : la spécificité de Frank Zappa, c’est d’être urticant, de parler de trucs sales et bizarres, comme l’amour des caniches et la neige jaune. C’est de la musique sophistiquée qui pue des pieds et se moque de faire joli. La musique de Thierry Maillard, c’est un peu le contraire, c’est propre et bien peigné ; ça n’enlève rien à sa qualité intrinsèque, mais les comparer, c’est comme vouloir être un piment quand on est une carotte, ça manque de couleur et c’est trop sucré. Ainsi le Big Band de Maillard crie Zappa Forever mais joue tout à fait autre chose. Le décalage est complet et l’incompréhension totale. Jouer Zappa en grand format, Le Bocal ou Franck Tortiller ou même Ed Palermo savent le faire mieux que personne ; invoquer Zappa sans en jouer une note, c’est tout de même surprenant. Ajoutez à cela les récitations simplettes de Camille Bertault, et la messe est dite : it smells funny, indeed.

Entendons-nous, ce n’est pas la musique de Thierry Maillard qui est en cause, où la complexité est de mise : « Transylvanie », avec un beau solo de Stéphane Chausse, parle pour lui, de même que l’identité des musiciens chevronnés, de Claude Egea à Stéphane Belmondo en passant par Julien Alour. Et même un chanteur exceptionnel, David Linx. Maillard est féru de musique classique, c’est un grand admirateur de Bartók. Des morceaux comme « Les 4 éléments » ou « Island » en sont emplis, rapprochant son Big Band du Modern Art Orchestra (la présence de Chris Potter en témoigne). L’académisme en surplus.

Et c’est tout le problème. Zappa ne rentrait pas dans les cases. Parlons même au présent : en 2020, il ne rentre toujours pas dans les cases. D’où cette incompréhension totale. Pourquoi Zappa ? Tout ce qui se joue ici semble proclamer l’inverse, comme Ravel et la Légion d’Honneur. Mais même si Zappa aimait Bartók (mais aussi Ravel, rendons-lui grâce), il préférait sans doute Penderecki ou Varèse aux carrières plus radicales. D’ailleurs, il n’avait pas forcément apprécié sa rencontre avec Boulez qui n’était pas, à l’inverse de ce que prétendent les notes de pochette, l’aboutissement ultime de son parcours. Ses 115 albums en parlent mieux que tout. Et pour l’éternité. Forever.

par Franpi Barriaux // Publié le 19 avril 2020
P.-S. :

Thierry Maillard (p, comp, dir), Hadrien Féraud (b), Yoann Schmidt (dms), Christelle Raquillet, Christophe Zoogonès (fl), Claude Egea, Julien Alour, Renaud Gensane (tp), Lucas Saint-Cricq (as, bs), Stéphane Chausse (cl, bcl, elec), Vincent Mascart (ts, ss), Baptiste Herbin (as), Samy Thiébault (ts), Daniel Zimmermann, Sébastien Llado (tb),
Lionel Segui (btb) + Camille Bertault David Linx (voc), Chris Potter (ts), Gilad Hekselman (g), Rhani Krija (perc), Franck Tortiller (vib, mar), Stéphane Belmondo (flh)