Chronique

Robert Johnson

The Heritage : Sons and Daughters, Fathers and Friends

Label / Distribution : Sony music

Le centenaire de Robert Johnson : avec les anciens et les plus « jeunes », un double album d’anthologie et tout ce que nous lui devons.

Tout ce que nous lui devons, cela ne se compte ni ne se dénombre. Robert Johnson n’a pas « inventé » le blues, si tant est que cette musique ait jamais eu à sa disposition un dénicheur de trésor pour la déterrer du fin fond de nos vies, de nos peurs, de nos bonheurs. Mais les émotions qu’il a inventées, elles, sont infinies.

Robert Johnson serait né le 8 mai 1911. Pourtant, rien n’est moins sûr. A deux ou trois ans près, qui pourrait l’assurer, en pariant sa vieille six cordes ou en vendant son âme à qui bon lui semble, mais en les mettant en jeu, l’une ou l’autre, ce qui doit revenir à peu près au même ? Personne. Et voici que l’on célèbre son centenaire de ! Malgré les doutes sur la date de sa venue au monde c’est bien le moins qu’on lui doit. En fait, on devrait rendre hommage à cette musique tous les jours que le ciel nous donne encore. Malgré les efforts d’une humanité qui semble parfois tout faire pour s’anéantir elle-même. Une chose que, d’ailleurs, Johnson racontait ici ou là, au détour d’une phrase - à sa manière bien sûr.

On célèbre donc le centenaire de Robert Johnson, et il faut savourer chaque seconde, chaque plage de ce double Heritage (Sons and Daughters et Fathers and Friends).
Sur le premier on trouvera notamment John Mayall, Bob Dylan, Status Quo, Keb’ Mo ou B.B. King. Mais pas Eric Clapton (sauf aux côtés de Mayall mais pas comme leader) qui pourtant nous donna « Me And Mr Johnson », et pas davantage Jimi Hendrix. Il en manque beaucoup d’autres. En revanche, au détour du chemin on rencontrera Elvis ; quant à Cassandra Wilson, qui a interprété Johnson comme personne, et - encore mieux - Patti Smith, elles sont au zénith de cette musique. De fait, il est bien normal que les femmes (et pas n’importe lesquelles !) succombent au charme de ces blues qui égrènent des accords - I-IV-V... - inexorablement, comme nos amours, nos détresses et tout ce qui nous presse sans fin sur des chemins plus ou moins avouables : la vie, tout simplement, qu’elle soit douce ou chienne, âpre, amère et même violente.

Sur le second CD de cette anthologie-célébration figurent quelques perles plus rares : les musiciens rencontrés au coin d’un bar plus ou moins bien famé, qui l’ont influencé sans le savoir ou, au contraire, en lui sautant à la gorge pour lui faire rendre cette chose qu’il avait au fond des tripes, cette chose qui, peut-être, ne parvenait même pas jusqu’à lui - ni, à plus forte raison, jusqu’à jusqu’à ceux qui avaient la chance de l’écouter. Des musiciens qui comprenaient aussitôt, car eux aussi avaient roulé leur bosse, qu’il en avait encore à dire, à chanter, à donner. Ces perles sont des enregistrements de Son House, Charley Patton, Skip James, Blind Lemon Jefferson ou Lonnie Johnson. Parmi beaucoup d’autres.

Au milieu des « jeunes » (l’âge est donc tout relatif !) et des grands anciens, ces deux CD proposent quelques plages de Robert Johnson lui-même. Bien sûr on pourra se reporter avec plaisir son au double album publié pour la première fois en 1990 par CBS et réédité actuellement sous le titre The Centennial Collection par Columbia Legacy ; il comprend tout ce que l’on sait de Robert Johnson, la totalité de ses enregistrements réalisés trois ans avant sa mort, qui survint dans des circonstances jamais élucidées (« No doctor » dit le permis d’inhumer) en 1938. Robert Johnson avait vingt-sept ans, si l’on en croit les chroniques les plus officielles. Ses inventions musicales sont sans doute sans fin, sans limites, mais le plus étonnant est que sa musique puisse encore ravir les amateurs de blues, de rock, mais aussi de jazz voire du jazz le plus libre et libertaire. Pourvu qu’on ouvre grand ses oreilles, son cœur et son âme.