Chronique

Riccardo del Fra

My Chet My Song

Airelle Besson (tp, bugle), Pierrick Pédron (as), Bruno Ruder (p), Billy Hart (dm), Riccardo del Fra (b, arr,comp), Deutsches Filmorchester Bablesberg Torsten Scholz (Konzermeister)

Label / Distribution : Cristal Records

Le contrebassiste Riccardo del Fra est resté fidèle, à tous les instants de sa vie et de sa musique, à Chet Baker, qu’il accompagna dès 1979. Il n’avait alors que vingt-trois ans.

My Chet My Song a été réalisé il y a quelques mois, en quintet et avec un orchestre à cordes. Il y avait déjà eu, dans le cadre d’une commande du festival de Marciac, un concert le 6 août 2011 avec à la trompette Roy Hargrove, désormais remplacé par la talentueuse Airelle Besson, et l’orchestre du Conservatoire National de Toulouse auquel, pour cet enregistrement, s’est substitué celui des studios de cinéma de Babelsberg. Ceux qui se souviennent du concert remarqueront que les arrangements ont été considérablement retravaillés. Mais on note aussi une grande continuité, grâce notamment à Pierrick Pédron à l’alto, le magnifique Bruno Ruder au piano et Billy Hart à la batterie. Tous excellentissimes et donnant ici le meilleur d’eux-mêmes.

Cependant, rassembler musiciens de jazz et orchestre symphonique, rapprocher le jazz de ce qui demeure une formation indissociable de la musique classique ou romantique, a toujours été une entreprise à risque. On a connu beaucoup de coups d’essai et peu de coups de maître. (On signalera d’ailleurs que le méconnu Chet Baker and Strings de 1953, année des premiers disques du trompettiste, n’est pas le moins abouti.) Car il faut pour cela de grands arrangeurs, des hommes habiles, certes - pour éviter les pièges de la « musique de film » -, mais surtout des inventeurs audacieux. On cite souvent Clifford Brown ou Neal Hefti mais il y eut aussi Ralph Burns ou Tadd Dameron. Et quelques autres.

Del Fra démontre qu’il est de cette trempe. Nulle complaisance, nulle sentimentalité dans cette musique, pourtant empreinte d’une grande générosité. Celle-ci vient de Chet Baker, à qui Riccardo del Fra lançait, comme à travers le temps et l’invisible espace, à Marciac – quelque chose comme : « Médium d’un message sonore qui a touché ceux qui étaient près de toi et prêts à toi, orphelin au terminus. Ce son-là, si plein de sens, ce son-là… ». Cependant, My Chet My Song va plus loin que la musique de Chet ; « My Funny Valentine » en est le témoignage : le contrebassiste a retouché, transformé, sculpté le thème à sa façon, à la limite de la tonalité. Et la musique est aussi celle de ses interprètes. Il faudrait tresser des louanges à chacun, à commencer par l’impeccable Billy Hart, un des plus grands batteurs actuels. Mais les trois jeunes Français font preuve d’une intelligence de chaque seconde là où, face à l’orchestre, à côté de lui, avec lui, contre lui parfois, il est souvent dangereux de s’aventurer. Quant à ce dernier, quelques degrés au-dessus de celui de Marciac, il est également sans faute.

Enfin, on aime passionnément l’interprétation de « Love For Sale », couplée, mêlée à un thème de Riccardo del Fra, « Wayne’s Whistle », ou encore « Wind On An Open Book », signé lui aussi par l’ancien compagnon de route de Chet. Décidément, sur un terrain bien périlleux, Del Fra et ses quatre compagnons ont réussi à franchir bien des obstacles.