Scènes

L’heure de la reconnaissance pour Makaya

Le batteur Makaya McCraven a dévoilé son dernier projet dans l’antre de l’Orchestre symphonique de Chicago.


Photo : David Marques

Le 30 janvier, au Symphony Center de Chicago, Makaya McCraven a présenté son œuvre intitulée In These Times en référence à la situation politique qui règne aujourd’hui aux États-Unis. C’est également un clin d’œil au mensuel de gauche du même nom basé à Chicago et extrêmement critique à l’égard du gouvernement actuel.

Pour l’occasion, Makaya McCraven a réuni onze autres musiciens provenant en grande partie de la génération montante de Chicago — et de ses différentes chapelles — avec une instrumentation originale (piano, harpe, deux violons, alto, violoncelle, sax ténor, trompette, sax alto, guitare, contrebasse et batterie) arrangée en arc de cercle.

Photo : David Marques

In These Times est avant tout une œuvre orchestrale qui évite les structures conventionnelles, à l’image de McCraven qui derrière ses fûts ne se répète quasiment pas. Les compositions reposent sur des thèmes accrocheurs qui alternent entre l’introspection et une démarche plus volontaire. Les contrepoints sont omniprésents, soit en opposant une famille d’instruments à une autre, soit en créant un clivage au sein d’une même section. À ce titre, la harpiste Brandee Younger se distingue en donnant le ton ou en prenant le contrepied des autres instruments à cordes.

Les pièces de McCraven laissent tout de même de l’espace pour l’improvisation. Les soli suivent le même schéma avec un départ réfléchi et songeur suivi d’une montée graduelle en puissance. Si Irvin Pierce au sax ténor peine à convaincre, le sax alto Greg Ward se montre plus inspiré et, parfois, son débit inexorable évoque Steve Lehman. Le trompettiste Marquis Hill est dans le sillage de Ward, mais avec plus d’émotion. Le guitariste Matt Gold, en remplacement de Jeff Parker, tire également son épingle du jeu grâce à son incandescence et un style à mi-chemin entre jazz et rock. Quant à McCraven, ses motifs polyrythmiques émerveillent et il choisit de conclure le concert par un solo à la manière d’un leader de big band tel Buddy Rich ou Gene Krupa.

Reste le message que McCraven cherche à faire passer. In These Times est plus proche du What’s Going On de Marvin Gaye que de la virulence ou du vitriol d’un Amiri Baraka. Ainsi le batteur propose une autre manière de canaliser son indignation—cela correspond aussi mieux à l’ambiance feutrée du Symphony Center. Mais on peut se demander même si la colère n’a pas laissé place à la résignation. À défaut de paroles pour transmettre un sentiment de révolte, il revient aux vidéos projetées à l’arrière-plan des musiciens et réalisées par Kim Alpert de le faire. La vidéaste altère et manipule des images d’archives illustrant notamment la lutte noire pour les droits civils. Ce faisant elle établit le lien avec le récent mouvement Black Lives Matter, né en réaction aux violences policières. Ces films qui renvoient à un temps passé contribuent à renforcer le sentiment empreint de nostalgie que la musique transmet. D’ailleurs le morceau « Hungarian Lullaby » n’est-il pas inspiré d’un air que la mère de McCraven aimait fredonner ?