Portrait

La mine de Samo Salamon

Présentation du prolifique guitariste slovène Samo Salamon.


Peu connu - voire pas connu - en France, le guitariste slovène Samo Salamon n’a pourtant pas à rougir de son parcours. En quelques années, il a réalisé une discographie conséquente qui réunit quelques grandes personnalités du jazz de création internationales et donne une idée de l’étendue de son travail. A l’occasion de la sortie de deux duos au côté de François Houle et Hasse Poulsen, il est temps de lui accorder une attention particulière. D’autant que la plupart de sa discographie est accessible en ligne.

Né en 1978, le guitariste s’est formé à Maribor au nord-est de la Slovénie. Guitare classique puis rock à l’adolescence, c’est bien le jazz qui l’intéresse particulièrement et vers lequel il se dirige ensuite en s’y consacrant exclusivement. Il a conservé de ces apprentissages un goût pour les esthétiques variées qu’il mêle dans le creuset de ses compositions comme dans les formations qu’il dirige. Et en la matière, l’éclectisme est sa règle.

Avec près d’une quarantaine de disques à son actif, on le retrouve chez Clean Feed, Not Two Records, Fresh Sound New Talent et d’autres, gage de la qualité de son travail.

Dès 2002, il enregsitre un trio de compatriotes dont il est le leader. La fûte et le saxophone de Vasko Atanasovski et le violon de Zmago Turica donnent la réplique à une guitare qui s’avance dans un univers qui n’est pas le sien. Arabian Picnic est un clin d’œil aux modes orientaux et aux improvisations venues du jazz. C’est d’ailleurs l’une des constantes de Salamon : son désir de partage et l’enrichissement de sa musique par de multiples rencontres. Dès 2005, il réunit un sextet dans lequel on retrouve rien moins que le saxophoniste américain David Binney. Un swing robuste anime ce disque et les joutes de solistes ne manquent pas. La virtuosité est au rendez-vous ; elle est un alcool sans danger qui grise avec enthousiasme.

En 2007, il est pour la première fois au côté du tubiste et joueur de serpent Michel Godard (ainsi que Julian Argüelles et Roberto Dani) sur le disque Nano. C’est le début d’une série de plusieurs enregistrements partagés. On retrouve en effet les deux musiciens dans des contextes différents sur quatre disques, souvent en compagnie de Dani. La musique est tour à tour rêveuse ou enthousiaste et le désir de partage, là encore, constamment présent.

La décennie 10 le voit collaborer de manière plus assidue avec des Américains curieux de toutes les expériences. Ce sera un trio avec Drew Gress et Tom Rainey puis un double trio sans basse avec le même Rainey et Tim Berne. Capable de passer d’univers doux à des approches plus frontales, Samo Salamon met une technique de haut vol au service de la transversalité et d’une approche plus exigeante.

Témoin un autre double quartet en 2013. A l’Ouest, auprès de Donny McCaslin au saxophone, John Hebert à la basse et Gerald Cleaver à la batterie. A l’est de l’Ouest, avec les Français Dominique Pifarély et Bruno Chevillon. On est impressionné par la malléabilité d’un jeu qui s’accorde, sans contresens, à des pratiques ouvertes, parfois radicales même si la composition tient toujours une part importante et structure, en les libérant, les parties les plus aventureuses.

Mais Salamon ne s’arrête jamais. Il joue en 2014 en trio avec le Danois Mikkel Ploug et Manu Codjia pour une musique gorgée de mélodie. Les amoureux de la guitare ne pourront qu’apprécier. On le retrouve ensuite avec un orchestre symphonique sur le bien nommé Orchestrology avec The Slovene Philharmonic Chamber Orchestra pour une approche évidemment Third stream avec débordement de cordes emphatiques en diable.

Sa guitare ne se départit pas d’un son plutôt rond dans la grande tradition jazzistique mais, encore une fois, peut se fondre dans n’importe quelle expérience, même les plus extrêmes. En sextet, en 2016, on le retrouve une nouvelle fois avec Julian Argüelles au saxophone, Pascal Niggenkemper à la basse et Christian Lillinger à la batterie notamment, ou encore au côté de Tony Malaby pour des musiques ouvertes et brûlantes. The Colours Suite et Traveling Moving Breathing sont sortis chez Clean Feed.

Dans ce prolongement, il dirige un bouillonnant orchestre free nommé Freequestra qui donne naissance à deux volumes sous un premier line-up et un autre avec un line-up remodelé, le New Freequestra. On peut entendre Luís Vicente à la trompette, Marcelo dos Reis à la guitare ou encore Christoph Irniger au saxophone dans un répertoire vif et enlevé.

En 2020, il se fond pleinement dans le monde étrange et poétique de François Houle pour un répertoire partagé sorti l’année dernière. Unobservable Mysteries donne à entendre un plaisir de jeu évident et une envie de creuser des voies divergentes, loin des chemins rebattus. Les phrases sont brisées, les chemins des deux partenaires se croisent ou s’éloignent dans une volonté de créer le plus grand espace de jeu possible.

Dernier disque en date : le Slovène sollicite le Danois Hasse Poulsen, bien connu et apprécié par ici. String dancers ravira là encore les amoureux de la guitare, ici acoustique. Les deux musiciens ensemble trouvent rapidement un son plein, à la fois tonique et enveloppant. Leur grande culture leur permet d’utiliser avec grand naturel des grammaires variées, du jazz au folk, alternant des parties écrites par chacun d’eux et des improvisations sensibles. Et pourtant, tout a été enregistré à distance durant le confinement. Le passage à la scène devrait confirmer la bonne entente qui règne entre eux.

On ne peut que vous inviter à fouiller plus avant cette discographie riche dont nous n’avons extrait ici que quelques références. L’amour sincère de Salamon pour toutes les musiques est une évidence qui transpire à chaque note. Sa connaissance de l’instrument et des instrumentistes est également une des marques de ce musicien qui cherche à s’épanouir dans la diversité.

Notons enfin, pour les anglophones, les longs entretiens qu’il réalise sous le nom de Dr. Jazz talks avec les musiciens habitués de ces colonnes. Dave Liebman, Mike Stern, Bobby Previte, Herb Robertson, Joe Morris, Rez Abbasi, Nguyen Lê, Ellery Eskelin se prêtent à l’exercice et se racontent. Là encore, une mine à creuser.