Scènes

Premier cru pour un crew

Première édition du festival 1name4acrew à Nantes.


Photo Michael Parque

Le collectif 1Name4acrew renforce sa présence sur la scène nantaise avec un festival premier du nom qui s’est tenu du 9 au 11 mars et déployé sur différents lieux. Après une Collision Collective réussie en 2015 (tournée de collectifs à travers la France), l’occasion de faire plus ample connaissance avec des créateurs activistes et découvrir exposition, table ronde et bien évidemment concerts. Retour sur la soirée du vendredi soir.

Issu d’une volonté de se réunir pour structurer leurs actions et leur donner une plus grande visibilité, le collectif 1Name4acrew est avant tout l’association de musiciens défendant des esthétiques proches. Ancrés dans les fondamentaux d’un jazz attaché à l’improvisation et à la technique comme moyen de libérer les capacités d’expression, ils sont, pour la plupart, également attirés par les formes les plus modernes et souvent radicales de la culture alternative actuelle (metal, post rock, noise, etc). Ces croisements, comme autant de terres à défricher, invitent à toutes les expériences avec un véritable appétit pour l’inouï.

Affiche de l’exposition « Figures Improvisées »

Exposition Figures improvisées au Trempolino

Photographe impliqué dans ce collectif et amoureux des musiques déviantes, Michaël Parque, également collaborateur régulier de Citizen Jazz (qui illustre cet article), expose son travail dans le café de Trempolino (lieu de répétitions, salles de travail, centre ressource situé derrière les Machines de l’Ile). Quelques dizaines de portraits récents sont présentés, pris pour la plupart sur Nantes et ses environs démontrant une fois de plus l’exceptionnelle vitalité de cette ville sur la scène du jazz le plus exigeant. Mats Gustafsson, Joe McPhee, Daunik Lazro en sont les grandes figures, une myriade de musiciens actifs et innovants en forme la riche cohorte (Fred Gastard, Christophe Lavergne, Emile Parisien, d’autres).

Le passage sur papier des photographies valorise le travail extrêmement soigné sur la lumière ; la profondeur des noirs nuancés avec minutie convoque le réel mais aussi l’imaginaire du dessin ou les lavis de l’encre. Placés au sein de cadrages graphiques complexes mais toujours lisibles, les corps et les visages sont ceux de musiciens au travail, absorbés par le son. Les focales discrètes, et souvent inattendues, perdent l’œil qui les regarde, en le récupérant aussitôt un peu plus loin elles traduisent l’humour discret de l’auteur. La valorisation des figures ainsi composées signe par ailleurs son évidente empathie pour les portraiturés.

Solo, duo, quartet au Pannonica.

En association avec le Pannonica, trois formations se suivent dans le club. Solo, duo, quartet. D’abord Becamsolo. Au civil, Jean-Jacques Becam, membre de plusieurs formations du collectif (Tangerine, Western, 1bandforacrew) dilue le son et le temps avec sa guitare et des effets. Il construit lentement une musique paysagiste qui invite à traverser de grandes plaines fantasmées. Debout, il saute d’une pédale à l’autre, comme remué par le vent, et active des bruissements et des souffles parfois arides que soudain traverse une mélodie à laquelle on s’accroche puis qui s’envole.

Becamsolo, photo Michael Parque

Restons avec une guitare et ajoutons un piano. Olivier Benoit actuel directeur de l’Orchestre National de Jazz et Sophie Agnel, membre de la même formation, sont sur la scène pour un échange qui, après plusieurs années de connivence, ne tourne toujours pas en boucle. L’exploit est à noter tout de même : quatre-vingt-huit et six font quatre vingt quatorze cordes et pourtant, pas une seule note jouée. Ce serait comme partir pour une belle aventure dans une voiture de sport sans jamais monter dedans. Le duo travaille, en effet, aux frontières de l’instrument, heurte avec de multiples objets le ventre du piano, joue avec les micros et divers grattements. La puissance sonore ne cesse de monter comme la mer qui roule les galets dans des vagues énormes. Il faut aimer se mouiller mais les mains de Sophie Agnel sont rageuses et les bourdonnements de Benoit l’entourent avec la bienveillance de l’orage.

Pour conclure la soirée, membre du collectif Capsul, Air Brigitte est un quartet tourangeau mené par la claviériste Emma Hocquellet. Plus que tout autre, la musique est un art fragile. Avec une mauvaise volonté manifeste, un ampli ?, un jack ?, une pédale ? s’acharne à gâcher le son de son instrument, la condamnant à chercher une solution pendant que les autres jouent. Accaparé par ce spectacle, le public se détourne un peu d’une musique pourtant soignée et volontaire. Basses profondes et rampantes, trombone (Alexis Persigan, entendu dans le Tower-Bridge de Ducret) cadré mais efficace, flûte plus primesautière en contrepoint (Thomas Quinart). Derrière, la batterie souple d’Alexandre Berton encourage sa leadeuse. La salle est avec elle, applaudit, et la fin du concert laisse imaginer ce que l’on a raté si le problème n’avait pas eu lieu.

Le programme continuait le lendemain : retour au Trempolino pour une table ronde sur le Do It Yourself et concerts aux ateliers de Bitche. Regret de n’avoir pas pu assister au Tocc Beat Club du collectif Muzzix (Lille) mais le Festival 1name4acrew sera de nouveau là l’année prochaine pour d’autres découvertes.

Sophie Agnel et Olivier Benoît, photo Michael Parque