Chronique

Harris Eisenstadt

Old Growth Forest

Harris Eisenstadt (dm), Jeb Bishop (tb), Tony Malaby (st), Jason Roebke (cb)

Label / Distribution : Clean Feed

La formation que présente ici le batteur canadien Harris Eisenstadt fait suite à une invitation de John Zorn dans son club The Stone à New York en septembre 2015. Réactivant pour l’occasion un ancien trio (Tiebreaker sorti en 2008 sur le label Nottwo), le batteur satisfait également une vieille envie : convier à ses côtés le saxophoniste Tony Malaby. Dans la foulée des deux concerts, ce quartet de circonstance part en studio et enregistre Old Growth Forest.

Certains projets nécessitent un long travail de maturation ; d’autres, au contraire, trouvent tout leur intérêt dans l’instantanéité. Si l’usage de la spontanéité comme pratique première peut sembler d’un équilibre fragile, les personnalités alignées ici ne peuvent que rassurer sur le succès de l’entreprise. Mieux : cette approche permet de dresser le portrait aussi brut que dynamique de chacune d’entre elles et confère beaucoup de vitalité à leurs échanges. Car les quatre se jettent sans filet dans la partie et investissent tous les recoins de l’espace sonore avec beaucoup de savoir-faire et, surtout, une réjouissante absence de maniérisme.

Entendu dans des contextes plus nuancés, voire diffus (on songe à The Destructive Element, trio sensible en compagnie d’Angelica Sanchez et Ellery Eskelin pour le même label Clean Feed) ou encore plus cérébraux (comme sur le braxtonien Golden State au côté de Nicole Mitchell, Sara Schoenbeck et Mark Dresser), Harris Eisenstadt, sans jouer au leader, frappe ses fûts avec sécheresse et une volubilité dans laquelle on peut entendre la primauté du corps sur l’esprit, avec une dimension libératoire qui l’amène à être sur tous les coups. Il est suivi de près par la basse de Jason Roebke, plus rectiligne dans sa démarche mais tout aussi volontariste dans l’appétit de jeu, et qui propose des allures aussi variées qu’imprévisibles dans un écrasement mordant du manche. N’omettant pas pour autant les phrasés mélodieux sur quelques moments de tendresse (sur “Helmock” notamment ou encore “Fir”), il retrouve alors les univers plus légers qu’il a pu développer dernièrement sur son disque Every Sunday.

A partir de thèmes prétextes, parfaitement ludiques, voire tout bonnement mécaniques (le mathématique “Redwood”), les deux soufflants s’en donnent à cœur joie et à plein poumons. Jeb Bishop, ancien partenaire de Peter Brötzmann ou Joe McPhee, est sans doute plus dans la retenue. Quoique à l’affût du moindre contrepoint, il propose un écoulement incessant de phrases sans point au travers de climats variés. C’est pourtant Malaby qui attire le plus l’attention. Sans ego, il attire inévitablement l’oreille par ses placements atypiques, ses ellipses aussi redoutables qu’un long discours et sa sonorité unique qui en font un des maîtres actuels du saxophone ténor. En sculpteur hors pair, il modèle la matière jusqu’à faire resurgir en elle tout le grain de sa matière.