Tribune

Roy Haynes, sur un claquement de doigts

Le monument Roy Haynes (1925-2024) est décédé à l’âge de 99 ans.


Roy Haynes © Fabrice Journo

On ne peut pas avoir été successivement l’un des batteurs préférés de Charlie Parker, John Coltrane ou encore Stan Getz sans marquer durablement l’histoire du jazz et plus globalement des musiques du XXe siècle. Roy Haynes a commencé sa carrière dans les années 40 ; comme Quincy Jones ou encore Lou Donaldson, décédés récemment, en dépit de ses 99 ans, il semblait immortel et continuait à jouer jusqu’à la pandémie de Covid. Il laisse néanmoins une discographie variée et foncièrement patrimoniale, entre classiques immédiats et intemporels.

Une syncope, un roulement. Un drumming pour accompagner la profonde clarinette basse d’Eric Dolphy sur « On Green Dolphin Street » pour l’album Outward Bound de 1962. Si chaque auditeur passionné de jazz réfléchit quelques instants à un souvenir impliquant Roy Haynes, il pourra sans doute en trouver un dans son esthétique préférée. Car du swing des années 40 aux racines d’un jazz au formes plus libres ou modales en passant bien sûr par le bop, Roy Haynes aura embrassé l’ensemble de l’histoire du jazz avec son jeu nerveux et imprévisible qui ne bousculait pas une impeccable rigueur rythmique, ce qui lui valu très vite le surnom de Snap Crackle [1]. Né en 1925 dans le Massachusetts, il fera l’essentiel de sa carrière à New-York, où il jouait chaque année pour son anniversaire, jusqu’en 2019.

Roy Haynes - 22 octobre 2003 © Michel Laborde

Reconnu comme un sideman luxueux et décisif apte a créer le dialogue avec ses comparses, on l’a entendu avec Thelonious Monk (Misterioso, 1958), Eric Dolphy, Sonny Rollins, Sarah Vaughan ou encore John Coltrane en remplacement d’Elvin Jones (on l’entend notamment sur Newport’63 où son approche de « My Favorite Things » est nerveuse et très intéressante, toute en tambour). Plus tard, on le retrouvera avec Chick Corea (Now He Sings, Now He Sobs en trio avec Miroslav Vitous, 1968) ou Pat Metheny puis aux côtés de Michel Petrucciani (Jazz Club Montmartre-CPH 1988). S’il est une année où s’impose le statut de sideman absolu de Roy Haynes, c’est bien 1961 : en quelques mois, le batteur apparaît dans plusieurs monuments du jazz, du Focus de Stan Getz au The Blues And Abstract Truth d’Oliver Nelson avec un orchestre de rêve, en passant par The Straight Horn Of Steve Lacy où son échange avec le saxophoniste reste légendaire (« Introspection »).

Roy Haynes © Fabrice Journo

Mais résumer la carrière de Roy Haynes a un rôle de bon camarade serait franchement réducteur : le batteur a montré très tôt une écriture très fine et un rôle de leader très affirmé. Si sur l’un de ses premiers disques en 1954 capté en France on retrouve Barney Wilen ou Henri Renaud (Roy Haynes Super Group), il aura enregistré sous son nom avec Roland Kirk (Out Of The Afternoon en quartet avec Tommy Flanagan et Henry Grimes, 1962) ou Bobby Hutcherson et Ron Carter (Thank You, Thank You, 1977). S’il fallait garder trois albums du batteur dans notre mémoire, ce serait bien entendu le célèbre We Three avec Phineas Newborn Jr. et Paul Chambers en 1959, petite gourmandise bop, le moins connu Cymbalism de 1964 avec Frank Strozier à la flûte (« Modette ») et surtout Senyah de 1972 avec Marvin Peterson (trompette) et Georges Adams (saxophone ténor).

Roy Haynes laisse une empreinte indélébile dans le jazz mondial ; son petit-fils Marcus Gilmore peut reprendre le flambeau.