Chronique

S. Mos

Hip-Hop and Jazz Mixed Up

S. Mos (kb, turntables, elec)

Label / Distribution : Musicast

Clavier dans le groupe de turntablistes Birdy Nam Nam et auteur de plusieurs mixtapes qui en ont fait un remixeur réputé dans le milieu hip-hop, S.Mos livre avec Hip-Hop et Jazz Mixed Up un disque qui intriguera les fouineurs avides d’expériences, qu’ils aiment le jazz, le rap… ou les deux !

Conçu sur le principe du « mash-up », qui consiste à fondre les paroles d’une chanson sur la musique d’une autre, Hip-Hop and Jazz Mixed-up s’attaque à un sommet par la face nord. À aucun moment S.Mos ne se réclame du jazz dans cette démarche ; il expérimente sur la base de matériel existant en produisant une musique qui reste absolument inscrite dans le hip-hop. Il se différencie en cela de groupes comme Iswhat ?! ou Ursus Minor qui tentent un syncrétisme et un défrichage, mais questionne tout de même la capacité du jazz à transcender les genres, voire à les sublimer.

Loin de surfer sur les chimères d’une éventuelle filiation qui aura perdu tant d’artistes dans les méandres du flop artistiques et le cauchemar des invendus, la démarche de S.Mos invente une autre histoire. Celle qui aurait transformé en crooner le gangsta mythique Tupac Shakur le temps d’une rencontre improbable avec Ray Bryant (« The Thrill is Gone »), qui offre - tout arrive - du groove à Busta Rhymes, rendu moins pénible au contact de Count Basie… On goûtera même à l’humour du « Message » de Grandmaster Flash devenu latino avec Kenny Dorham, et au plaisir d’entendre le « Make You Feel That Way » de Blackalicious confronté à Clifford Brown !

Le parti-pris de ne pas sampler le matériel jazz mais de l’utiliser tel quel donne de l’épaisseur au hip-hop binaire [1] au contact de ces standards étincelants. Il est loin le temps où US3 pillait le catalogue Blue Note dans des boucles périmées avant même d’être gravées sous les applaudissements condescendants de ceux qui y voyaient une « nouvelle jeunesse » du jazz.

Bien sûr, il y a ici quelques accommodements simplistes, quelques claviers malheureux. Bien sûr, tout cela est anecdotique… Mais très bien réalisé et souvent d’une troublante efficacité qui - on l’espère - fera réfléchir plus d’un producteur de hip-hop. Cela montre aussi (et c’est précieux, en ces temps de repli sur soi et sur les étiquettes…) que la bonne musique peut se permettre toutes les alliances prétendument contre nature quand elle est vivace et sûre d’elle-même comme peut l’être le jazz, n’en déplaise aux vains orthodoxes. Et si en plus ça fait bouger les pieds…

par Franpi Barriaux // Publié le 29 décembre 2010

[1Notamment lorsque S.Mos accélère le « Superman » d’Eminem pour le placer face au « Sweet Honey bee » de Duke Pearson