Chronique

Ludivine Issambourg

Outlaws (Tribute to Hubert Laws)

Ludivine Issambourg (fl), Éric Legnini (cla), Laurent Coulondre (cla), Julien Herné (b), Stéphane Huchard (dms) + Christophe Chassol (cla, 10)

Label / Distribution : Autoproduction

Si on cherchait une bande son originale aux romans de Georges Pelecanos [1], on irait nécessairement chercher dans les albums mythiques du label CTI. Une virée en Chevrolet dans les rues de D.C ne se refuse jamais, surtout avec un repris de justice en patte d’éléphant ; c’est l’ambiance que la flûtiste Ludivine Issambourg a voulu pour son Outlaws. Au Rhodes et à la production, Eric Legnini s’est fait un malin plaisir de retrouver le son CTI, on l’entendra avec gourmandise dans le langoureux « What a Night » avec le batteur Stéphane Huchard qui appuie un groove carré tout en douceur. Le nom de ce label agit comme un signe de reconnaissance, un salut aux doigts écartés, comme les habitants de Vulcain… Et lorsqu’on en entend le son caractéristique, on est tout de suite projeté dans le souvenir des productions de Eumir Deodato ou de Freddie Hubbard. Parmi les noms qui chantent aux oreilles, gardons celui d’Hubert Laws

De mémoire, citons Afro-Classic avec Ron Carter, produit par Creed Taylor, le fondateur de la maison CTI. Mais aussi The Chicago Theme, aux franges du disco, tapageur mais jamais vulgaire. Pur gamin de Los Angeles, Hubert Laws est un flûtiste de jazz dont on oublie trop souvent le rôle dans les années 70, à cheval entre la pop, la soul et le jazz. Il ne semble pas étonnant que Ludivine Issambourg, au parcours entre électro et jazz, aux collaborations multiples et au groove dévastateur se soit entiché de Laws, et sache le convoquer sans se fondre dans le personnage. Issambourg a son son propre, mais il a biberonné à l’écoute de tout ce que CTI compte de savoureux. A l’écoute de « Going Home » et de son intro toute en re-recording et en cavalcade avec la basse vintage de Julien Hermé, on peut même affirmer une certaine filiation. On est certes revenu en arrière temporellement par rapport à Antiloops et son environnement très électronique, mais il y a une continuité, et une cohérence.

Lorsque la flûtiste descend de sa maison vaisseau spatial bleu [2], chef d’œuvre de l’utopie architectural des sixties en robe Rabanne, elle ne débarque pas sur la côte Ouest des Etats-Unis pour aller piocher du bon son. Pour ce qui est de ça, elle s’en occupe très bien avec son équipe, en restant avec ses contemporains, et elle sait jouer cette musique sans qu’elle semble surannée. Mais quel est cet étrange atterrissage de cette navette CTI ? On est en revanche en droit de se demander si elle ne débarque pas en 2020 pour nous cueillir en plein déhanchement dans son redoutable « Trying to Get The Feeling Again » et nous emmener Downtown en 1974, pour boire un verre au Off The Record. Pas de Coronavirus, Trump n’en était qu’à sa deuxième faillite… « What do You Think of This World Now ? » comme dit le dernier morceau de ce joli album qui est plus qu’un exercice de style. Avouons qu’il est franchement tentant de monter à bord !

par Franpi Barriaux // Publié le 5 juillet 2020
P.-S. :

[1On pense notamment à Red Fury, l’un des livres les plus nerveux du scénariste de The Shield.

[2En réalité une Futuro House de l’architecte finlandais Maati Suuronen, on peut en visiter une au Havre, NDLR